Forest of Secrets

Forest of Secrets fait d’emblée partie des fictions cultes (et je n’aime pas ce mot !), celles qui marquent définitivement une génération de téléspectateurs.

Oui, il arrive parfois qu’une fiction est si bien ficelée, qu’on en perd les mots, qu’on cherche désespérément une faille pour éviter cet immonde raccourci, cette phrase qui ne peut que décevoir : « c’était parfait ». Car le récit policier est ainsi fait qu’il doit surprendre le téléspectateur tout en lui déroulant des raisonnements logiques, inattaquables. Bien souvent, hélas, l’élément de surprise est principalement lié au décryptage scientifique des preuves matérielles, et l’acuité des enquêteurs ne sert qu’à des effets d’esbroufe. Encore une fois, il n’en est rien dans Forest of Secrets, qui réussit à donner de multiples pistes sur les motivations, le background des personnages, l’identité d’assassins, de kidnappeurs, tout en permettant à l’enquêteur de dérouler un raisonnement implacable (et jubilatoire !). Mieux encore, rien ne nous est pré-mâché : le téléspectateur doit prendre ses responsabilités, et suivre avec attention la multitude de personnages qui surnagent dans ce cloaque parfois étouffant. Si tout le monde est suspect, pourtant, personne (ou presque) n’est pour autant devenu froid et insensible. Cela va au delà de la simple notion de profondeur, puisque le vécu de chaque personnage a des vraies conséquences sur son action. Et surtout, cette peinture humanise ces gens méfiants, égoïstes, hypocrites, menteurs, lâches ou naïfs. En 16 épisodes (qui dépassent largement 1h15 chacun), vous aurez fait le tour de ce petit monde. Non seulement vous comprendrez leur action, mais vous y serez très attachés. Un véritable tour de force, excessivement rare à la télévision.

Et puis, l’aspect technique du drama va rapidement vous ébahir. Les dialogues sont à double-sens, les flashbacks déstabilisants, pouvant rappeler ce qui s’est passé il y a une bonne poignée d’épisodes. Tout se tient. Chaque mot et chaque attitude ont été sous-pesés. Et bien sûr les acteurs y sont prodigieux. A vrai dire, on en attendait pas moins de Cho Seung Woo (époustouflant dans Marathon) et de Bae Doo-Na (Someday mais aussi Sense8 des Wachowski), des acteurs pour lesquels je voue une profonde et sincère admiration. Cho Seung Woo y joue un procureur délesté de toute émotion depuis une opération du cerveau. Sur le papier on pouvait craindre l’archétype du robot, brillant mais asocial. Au contraire, l’acteur a su doser son jeu pour insuffler une vraie humanité, comprenant un peu la détresse des autres, et se battant pour un idéal inatteignable dans un pays corrompu, celui de la justice. Bae Doo Na joue quant à elle une policière légèrement juvénile (elle adore dessiner – un trait commun à son personnage de Someday). Aucune romance n’est suggérée, on voit dans leurs regards une confiance qui mettra du temps à s’installer, puis une admiration réciproque, avant de succomber à une franche amitié. Le portrait est fait par petites touches, une délicatesse de plus à mettre au crédit de la fiction.

La réalisation s’avère extrêmement solide, à l’aise autant dans les dialogues que dans les quelques scènes d’action. Bien sûr, hélas, quelques couteaux sont floutés (signe de la censure), mais le téléspectateur averti sait ce qu’on lui cache lorsqu’on aborde un cadavre, du sang, ou tout simplement la prostitution. Le monde est impitoyable, mais il n’est pas pour autant gris ou pluvieux. L’essentiel se passe dans les bureaux, ces antres où chacun y cherche (ou y étale) son confort personnel. Car peu de personnes sont à l’aise dans ces environnements où tout le monde suspecte tout le monde. On nous montre la corruption ordinaire, ces petits gestes qui marquent le début d’une descente aux enfers, ces regards en coin, ces ombres, ces mots attrapés au détour d’un couloir. L’ambiance paranoïaque capte le téléspectateur qui ne cesse de questionner la moindre émotion sur le visage d’un personnage. Mais plus encore que ces moments de caméra, il faut complimenter la bande sonore : tendue, sans verser dans l’emphase grandiloquente, elle donne à chaque rebondissement sa vraie valeur. Et les twists sont pour la plupart très malins. Pas de chanson, ici, mis à part en générique. Le téléspectateur n’est jamais éloigné du propos de la fiction.

Car le vrai propos, c’est ce thème cher aux coréens, celui de la corruption. Forest of Secrets apporte sa pierre à l’édifice, de la plus belle des manières, affrontant sans détour une triste réalité. Notre héros est droit dans ses bottes, son sens inné de la justice aura bien du mal à supporter le moindre compromis. Et la fiction va loin. N’importe quel téléspectateur informé verra par exemple un parallèle avec le dirigeant de Samsung, qui proclame à la presse qu’il pèse 30 % du PIB du pays, et qu’à ce titre on ne doit pas l’attaquer. On nous parle même d’un hypothétique « pardon spécial » qui a profité à ce dernier. La révolution des bougies a signé le ras-le bol de la population sud-coréenne, lassée de voir les mêmes dirigeants au-dessus des lois. Forest of Secrets va loin dans sa démonstration : un personnage ira même jusqu’à dire que si la corruption continue ainsi, la Corée du Sud va mourir. Tout simplement. Car tout le monde est touché par ce fléau : la Justice, la Police, le Gouvernement… La fiction coréenne a souvent abordé la corruption, parce qu’elle touchait un personnage qui voulait voir son tort réparé, mais elle a rarement mentionné la société toute entière. Forest of Secrets, avec d’autres, signe peut-être là une orientation de plus en plus sociale des dramas coréens (ce dont je parlais justement au Festival de la Rochelle) …

Ne manquez surtout pas ce bijou.

Festival de la Fiction TV La Rochelle : une journée coréenne fructueuse

Le Festival de la Fiction TV La Rochelle 2017 ferme ses portes. L’heure de faire un petit bilan de cette fameuse journée spéciale Corée du Sud dont je vous parlais ici.

Premièrement, il convient de saluer l’initiative du Festival, autant pour cette forme de reconnaissance de la qualité des dramas, que pour l’évènement en lui-même. On espère donc que cela donnera des idées à d’autres (SeriesMania Lille ?) et surtout que La Rochelle ne s’arrête pas en si bon chemin.

Projection des dramas

Les 3 dramas projetés (W et Signal le matin et The Package l’après-midi) ont fait salle comble, j’ai même du m’asseoir par terre pendant le visionnage du premier épisode de Signal (1h30). L’accueil du public fut très positif, il était certes plutôt jeune, mais il était aussi constitué de nombreux professionnels qui découvraient stupéfaits la narration made in Korea.

W

Je pense notamment à W, dont le second épisode fut diffusé. Un choix plutôt malin étant donné que le drama appuie un peu trop sur la dramaturgie dans le premier épisode (avec le massacre de la famille du héros) et qu’il ne développe pas vraiment ses points forts d’emblée. On m’ a plusieurs fois posé la question : « comment peut-on voir la suite ? », c’est dire si les twists, l’humour, et la thématique fantastique a fonctionné sur le public français.

Signal

Signal a également captivé son auditoire, comme attendu, et le réalisateur Kim Won Seok, après avoir essayé de parler quelques mots en Français, a répondu à quelques questions concernant les crimes abordés dans la série, ayant tous existé. Les choix musicaux, des classiques coréens, ont également été expliqués. Chaque épisode a été tourné en 6 jours, ce qui pour les coréens est une bonne moyenne, mais reste époustouflant vu les qualités visuelles et narratives du drama. On a aussi vu que la photo de Batman a été censurée pour des raisons de droits d’auteurs, alors qu’en Corée il n’y avait pas eu de problème. Le public est resté happé pendant toute la projection, et vu les commentaires lors du débat, peut-être que nos invités coréens espéraient un peu plus de sursaut du public, par rapport à The Package qui a fait hurler de rire toute la salle, mais c’est le genre qui veut ça.

the package drama

Car oui, si W et Signal étaient des valeurs sûres, personne ne savait ce qu’allait donner The Package, diffusé à La Rochelle en avant-première. Le public était assez jeune et visiblement déjà bien accro aux dramas, réagissant parfaitement à ses codes et à ses nombreux clins d’œil. On pouvait être raisonnablement inquiet sur la façon dont le drama pouvait énoncer des clichés sur la France et les français, mais l’épisode s’en sort vraiment très bien : les décors servent l’histoire et les personnages. Et les français ne sont pas trop caricaturaux (ouf !) le douanier a du mal à comprendre notre héros mais n’a pas une image de vilain pour autant, la colocataire française ne sait pas parler coréen et cherche des insultes dans « le coréen pour les nuls », …  La plus grande surprise fut la façon dont Jung Yong Hwa cassait son image, en se faisant passer pour un pervers, un obsédé sexuel au comportement étrange. L’épisode offre même des plans à n’en plus finir sur l’anatomie de ce dernier, qui enlève hors champ la serviette autour de sa taille (on a entendu les soupirs des demoiselles dans la salle !). Bref, ce fut drôle, plutôt osé (nos personnages finissent dans un sex shop avec des objets censurés dans la main, quand même !) et constituait finalement un très bon résumé de ce qu’est une bonne comédie romantique coréenne. On sent malheureusement un peu trop les twists à venir, mais cela n’entache pas ce moment « feel-good ». Dans les questions adressées au réalisateur et scénariste, on a ainsi appris que le couple français – des amateurs – a été filmé en Corée et non en France (au passage on saluera le fait qu’ils soient noirs, c’est tellement rare à la télévision sud-coréenne).

L’atelier « A la rencontre des dramas coréens »

Comité développement durable groupe

Après la diffusion de ces 3 œuvres venait le moment tant attendu, celui du débat. Mes questions ont essayé d’éviter les raccourcis habituels, et nos invités ont été agréablement surpris par leur profondeur. Ainsi, Kim Won Seok lui-même est venu me remercier à la fin, et m’a demandé de le prévenir quand mon livre sortira, parce qu’il veut l’acheter. J’ai été très touché par sa gentillesse. Toutes les félicitations du public sur la qualité du débat m’ont fait également très plaisir. Quant à nos invités, même les moins bavards ont finalement joué le jeu, et je les en remercie vivement, tant les échanges furent à la fois conviviaux et intéressants. Le public dans l’amphithéâtre n’était malheureusement pas aussi nombreux qu’espéré, mais il s’agissait pour l’essentiel de connaisseurs, soit un public de fans, d’élèves en langue coréenne, soit même de quelques universitaires. Du coup, après une présentation standard des dramas (définition, production, narration, live-shooting, diversité des genres), on a pu aborder des questions plus contemporaines comme le binge-watching et Netflix, la question de l’adhésion du public féminin et des clichés qui surprennent les téléspectateurs occidentaux (au passage on voit comment le wrist-grabbing est perçu par les hommes coréens comme un fantasme féminin). On a aussi abordé les orientations futures des dramas (coproduction, adaptation) et finit par le développement des questions sociales dans les dramas, et le fait qu’il soit possible d’en parler sans dénaturer les codes du drama. Nos invités ont particulièrement été attentifs à ce que nous pensions, à ce qui nous plait dans les dramas, et le public a même pu faire part de leurs préférences en matière de genre … ou même de casting, ce qui a beaucoup fait rire. Nous avons hélas dépassé le temps imparti, mais ce fut une expérience inoubliable, et je tiens à remercier vivement les invités du débat (Park Joon Suh de Dramahouse/JTBC, Kim Eun Hee scénariste de Signal, Kim Won Seok, réalisateur de Signal, et Han Hee producteur et réalisateur pour MBC). Et si j’avais un seul souhait à réaliser, ça serait que les producteurs de dramas coréens prennent définitivement conscience de l’immense potentiel que constitue le public français.

Après tant d’émotions, il restait le temps des contacts. Ainsi j’ai été abordé par un représentant de SeriesMania (qui a tenté de m’expliquer la raison pour laquelle les dramas coréens sont moins présents dans leur festival (si j’ai bien compris, la production rapide de dramas coréens empêche les exclusivités de diffusion, ce que recherche en priorité le festival). Dramapassion aussi était là (on ne m’en a pas voulu pour avoir sous-estimé d’une petite vingtaine le nombre de dramas disponibles, n’est ce pas ?). Par la suite, le meeting organisé par la KOCCA (Korea Creative Content Agency) fut malheureusement un peu trop chargé en discours (je n’étais pas la cible, il est vrai), mais j’ai pu là aussi discuter dramas et concepts avec divers interlocuteurs, tous très sympathiques. J’en profite pour remercier encore une fois Christophe, qui m’a longuement interviewé et filmé le lendemain, à l’ombre d’une tente ou d’une tour. J’espère vraiment que nous nous reverrons et que ses projets se réaliseront, il le mérite ! Merci également à Jennifer, qui a animé avec moi cette journée intense, et à toute l’équipe du festival : Delphine, Lara, et bien sûr le président Stéphane Strano, sans qui cette journée n’aurait jamais pu avoir lieu.

[En route pour le Festival Fiction TV La Rochelle] Signal, W et The Package

accueil

Plus que quelques jours avant la journée spéciale Corée du Sud au Festival de La Rochelle ! Je suis très honoré  d’y participer ce Jeudi après-midi, pour co-animer l’atelier : « A la rencontre des dramas coréens : welcome to Hallyu-wood  ! Comprendre les raisons d’un succès mondial « .

Les invités au débat sont prestigieux avec en point d’orgue la scénariste de Signal, Kim Eun Hee, responsable – entre autres de Harvest Villa, Sign, Ghost, Three Days, Signal et bientôt la série de Netflix Kingdom (où on nous promet des zombies du temps de Joseon, rien que ça). Les questions seront également posées au réalisateur de Signal, Kim Won Seok (Sungkyunkwan Scandal, Monstar, Misaeng, et bientôt My Ajusshi), au producteur et réalisateur Han Hee (réalisation d’Empress Ki et production de Fated to love you, Kill me Heal me, Shopping King Louis, Weightlifting Fairy Kim Bok Joo, et en ce moment Hospital Ship), et Park Joon Suh, un représentant de Dramahouse, la boîte de production maison de JTBC responsable de multiples pépites comme A Wife’s Credentials, Secret Love Affair, Can we get married, Age of Youth, Strong Woman Do Bong Soon…

Parler de dramas coréens au grand public en une heure n’est pas chose facile, surtout lorsqu’il s’agit de briser les préjugés. De plus le sujet est large (imagine-t-on faire le tour des séries américaines en une heure ?). J’avais déjà pu appréhender ces difficultés avec l‘émission sur France Culture et l’écriture d’un livre sur les dramas coréens (l’année prochaine chez Vendémiaire si tout va bien). J’espère vraiment que petit à petit les médias considèreront les dramas non pas comme un phénomène, une mode (destinée aux ados – ne nous voilons pas la face c’est l’image que l’on nous sert), mais comme un pan inévitable de la création télévisuelle mondiale. Il est malheureux de devoir obtenir la reconnaissance via les Etats-Unis, mais si besoin était, rappelons que les dramas coréens sont désormais enfin adaptés aux USA, et The Good Doctor, à la rentrée, en sera probablement la tête d’affiche.

En tous cas je suis vraiment curieux de connaître l’accueil que vont recevoir les 3 dramas. Espérons qu’on évite enfin les qualificatifs de type « feuilletons chastes aux acteurs androgynes »…

Mais revenons au Festival, qui projettera le premier épisode de 3 dramas ce Jeudi : Signal, W, et The Package, cette dernière en exclusivité mondiale, puisqu’elle ne devrait être diffusée qu’en Octobre en Corée du Sud. Je n’avais pas eu le temps d’écrire sur Signal et W, hélas. En quelques mots :

Signal

Signal, sorti en 2016 sur tvN, est véritablement le maître-étalon des dramas policiers à venir et profite pleinement de la liberté créatrice du câble et du talent du réalisateur de l’excellent Misaeng, qui allie à la fois sens de la poésie et action dans des courses poursuites. Il utilise un élément fantastique qui rappelle le film américain Frequency (2000) : un talkie-walkie qui permet de faire dialoguer deux enquêteurs d’époques différentes, l’un dans le passé, l’autre dans le présent, chargé des « cold cases », ces enquêtes abandonnées. Certains crimes abordés se sont réellement produits en Corée,comme la fameuse histoire de Hwaseong qui inspira le film Memories of Murder de Bong Joon Ho (un meurtrier qui fit 10 victimes dans les années 80, sorte de Zodiac Killer de la Corée du Sud qui ne fut jamais appréhendé). L’élément fantastique (le talkie walkie à travers le temps) n’est pas un rebondissement qui retourne une situation comme l’utilise par exemple la série américaine Frequency (diffusée après Signal). La communication n’apparaît que sporadiquement, et ce sont les choix, la perspicacité et l’astuce des personnages qui font et défont les drames. Le cœur du sujet reste donc l’humanité de nos personnages avec en toile de fond la lutte contre un système corrompu, une thématique récurrente et hélas toujours actuelle en Corée du Sud. Le drama n »accorde qu’une place discrète à la romance, comme le font parfois les policiers coréens, et son découpage narratif là aussi détonne par rapport au feuilletonnage américain.

W

W, sorti en 2016 sur MBC, raconte principalement l’histoire de deux personnages, un jeune homme issu d’un manhwa, qui cherche à trouver celui qui a tué sa famille, et une jeune fille, qui vit dans le monde réel, et qui s’avère être la fille du créateur du manhwa. Les passages entre les deux mondes, les réunions surprises, les twists se chevauchent à une cadence plutôt rare en Corée, rendant le spectacle peut-être plus captivant pour un spectateur habitué aux séries occidentales. Au début l’histoire est plutôt maline et arrive sans peine à justifier ses aller-retours, mais trop de twists tuent les twists. Et j’avoue avoir eu plus de mal à m’impliquer émotionnellement dans le sort de personnages moins bien développés (pour une fiction coréenne j’entends). Cela dit, je comprends parfaitement que le drama ait autant de fans, car la fiction possède beaucoup de qualités, notamment en terme de rythme. Nous aurons la chance d’avoir la scénariste de W à la projection.

the package

The Package

Scénariste et réalisateur seront à la projection de leur création, tournée en partie en France (St Malo, Paris, … ?), et célébrant les 5 ans de la chaîne JTBC. Le drama réunira Jung Yong Hwa (You’re Beautiful, Heartstrings) et Lee Yun Hee (Miss Korea). On croise les doigts pour cette comédie romantique…

En route pour le festival !

 

My father is strange

Vous n’en avez peut-être pas beaucoup entendu parler, mais My father is strange (KBS) a été l’un des plus gros succès de l’année 2017 en Corée du Sud (presque 30 % d’audience en moyenne, sur 6 mois de diffusion). Rien de neuf sous le soleil, puisqu’il s’agit d’un weekend drama, le type même de fiction qui écrase régulièrement les prime-time dramas qui font pourtant les unes en Asie. Une fiction familiale, qui parle essentiellement aux coréens, me direz-vous ? Un petit détail devrait pourtant vous mettre la puce à l’oreille : le drama figure tout en haut du classement des sites de streaming aux USA.

Oui, il s’est passé quelque chose avec ce drama. De temps en temps la production sud-coréenne arrive à nous faire chavirer avec des weekend dramas, par définition tout public. Ici, la fiction se révèle chaleureuse, réconfortante, et évite autant que possible les terribles drames et les ficelles des makjang. Au fil des 52 épisodes d’une heure chacun, le téléspectateur a le sourire aux lèvres. On appelle ça un feel-good drama. Et My father is strange est une petite démonstration du savoir-faire coréen en la matière.

52 heures de télévision représentent un investissement conséquent. Il va falloir fermer les yeux sur quelques aspérités : une introduction tapageuse, un rythme un peu lent, les inévitables problèmes de couple de retraités… Mais tout cela se lisse très bien : les personnages gardent leur mordant mais démontrent une belle humanité, les secrets de chacun sont révélés comme il se doit au compte-goutte pour donner envie de revenir, et il y a suffisamment d’histoires parallèles pour s’investir. De plus, comme souvent dans les dramas familiaux, les sujets de société sont régulièrement évoqués. Une histoire à la fois universelle et « locale », reflétant la société coréenne.

La famille compte en effet plusieurs membres : le patriarche, d’abord, est un homme attentionné, calme, mais … un peu lâche. Il tient un magasin de snack food, et cache un terrible secret avec son épouse, secret qui lui pourrit la vie depuis 35 ans. Ce couple aime profondément ses enfants, qui vont évidemment leur en faire voir de toutes les couleurs :

  • L’aîné, d’abord. Ça fait 5 ans qu’il essaye de réussir le concours d’entrée à la Fonction Publique et qu’il échoue. Cela joue évidemment sur l’estime de soi (pour ceux qui aiment ces thématiques sociales, plongez-vous un peu dans Drinking Solo). En fait il a en secret une petite amie qui travaille et le soutient. Une grossesse surprise va changer la donne.
  • La fille aînée représente au contraire la réussite : elle est avocate, très indépendante, ne veut pas se marier et ne mâche pas ses mots. Elle ne cesse de répéter qu’elle ne veut pas vivre le terrible sort des belles-filles en Corée (hélas souvent traitées comme des domestiques par leurs beaux-parents). Elle va elle aussi retomber amoureuse de son ex, au point de vouloir vivre avec lui en cachette – et donc de quitter le domicile familial. Les beaux-parents de son amoureux, eux-même en conflit permanent, auront bien du mal à accepter un couple qui cherche à rester indépendant et moderne.
  • La fille cadette, n’ayant de loin pas un parcours universitaire brillant, réussit à être recrutée à l’essai dans une compagnie qui gère les célébrités. Elle va vivre deux histoires : la première est en lien avec son passé traumatique (ex-judokate, brimée par les filles de son lycée, elle avait pris du poids), la seconde est une histoire d’amour compliquée avec la star dont elle s’occupe.
  • La benjamine, coach sportif, se cherche encore. Jolie, elle a beaucoup de garçons a ses pieds, mais évidemment elle va tomber amoureuse de celui qui inexplicablement semble la rejeter.

A ce petit monde – qui vit au départ sous le même toit – se rajoute aussi la grand-mère maternelle à fort tempérament qui vit dans le même immeuble avec son fils qui n’arrive pas à joindre les deux bouts, sa belle-fille discrète, et son petit-fils doué pour les études mais également en pleine croissance hormonale.

Cette famille va alors être bouleversée par l’arrivée d’un jeune homme, un acteur sur le déclin, qui prétend être le fils caché du patriarche. Son insensibilité, qui lui joue des tours lorsqu’il s’agit de jouer un rôle, s’explique par le fait qu’ il a vécu douloureusement l’absence d’une famille aimante et réconfortante.

L’un des grands intérêts du drama réside dans la description des liens fraternels, cette histoire complexe d’amour/jalousie, jalonnée de disputes, de cachotteries, de pics, de travers, mais aussi de soutien dans les moments importants. Voilà une famille qui prend vie avec tous ces regards qui en disent tellement sur l’humanité de chacun.

L’autre point fort du drama est Lee Yoo Ri. Très connue pour son fameux rôle dans le makjang Jang Bo Ri is here, elle délaisse pour une fois ce type de personnage et se révèle en femme indépendante, moderne, déterminée et flamboyante. Ainsi la fille aînée du drama ne cherche vraiment pas à quitter son travail et à se marier, et fait plutôt rare, le show respecte habilement son désir d’indépendance. (Il existe quantité de dramas où la femme « forte » s’assagit en se mariant !). Surtout l’actrice est drôle, et ses regards, son attitude, crèvent l’écran.

Bien sûr le casting est impeccable : certains fans de Kpop viendront peut-être pour Lee Joon (MBLAQ), mais il y a aussi Min Jin Woong (Drinking Solo), Jung So Min (Can We Get Married), Ryu Hwa Young (Age of Youth – comme elle me manque dans la deuxième saison d’ailleurs !)…

Autre fait notable : les différentes histoires de couple deviennent toutes intéressantes – à leurs niveaux respectifs. Aucun amour n’est le même, on comprend rapidement les difficultés de chacun, et à aucun moment on ne se dit qu’on a perdu son temps. C’est évidemment rempli de mignonneries, de skinship, d’embarras, de petites et de grandes déclarations, de cœurs qui battent fort, de larmes, de séparations, de retrouvailles, mais surtout ce sont de multiples démonstrations des différentes formes de l’amour – à tout âge, de la tension sexuelle, du respect des désirs de chacun, du soutien inconditionnel, de ce qu’on donne sans demander à recevoir…

Les ficelles narratives, pour le coup, passent également très bien : on ne verse jamais dans le makjang, même si le secret de famille est vraiment … particulier. Et on engloutit rapidement ces 52 épisodes, avec cette sensation délicieuse propre aux dramas coréens, la sensation d’avoir grandi émotionnellement (et j’ose même dire humainement), en faisant passer notre cœur par une infinie variété de sentiments.

Un drama familial incontournable. Et comme dans tout drama familial, accrochez sur 3 épisodes au moins, le résultat en vaut la peine.

A noter : la série est disponible intégralement et en HD sur la chaîne KBS World de Youtube, en version sous-titrée anglais. . On remerciera au passage cette chaîne qui propose depuis longtemps de passer d’excellents moments en terre coréenne et sous-titré s’il vous plaît. (je pense notamment à What Happens to my family, Five Enough, ou le variety show Return of Superman – the triplet special).