Le retour d’Aaron Sorkin (The West Wing) à la télévision fait l’objet d’âpres discussions sur les blogs ces derniers temps et le pilote de sa dernière série mérite largement qu’on s’y attarde, peut-être même davantage sur le fond, que sur la forme qui correspond au style de son auteur.
The Newsroom nous raconte l’histoire d’un présentateur de journaux télévisés (Jeff Daniels) qui avec le temps, est devenu un représentant de la médiocrité du métier, et donc… une figure très populaire. Et bizarrement, c’est précisément à ce moment là que le caractère de notre personnage principal a changé et bien qu’il soit respecté, il n’est pas aimé dans son environnement de travail, poussant facilement la voix et ne s’impliquant guère avec ses confrères, oubliant même jusqu’à leurs noms. La présentation est donc on ne peut plus forcée : il faut que cet individu devienne une meilleure personne, et pour cela… il va falloir lui forcer la main.
Qu’importe d’ailleurs si les producteurs télé ne raisonnent qu’en terme d’audience, Sorkin balaye l’argument du revers de sa main. Il s’agit de construire un nouveau show, qualifié d' »honnête », quitte à perdre son succès public, parce qu’il y a une certaine idée du patriotisme derrière tout cela. En clair, et sans détours, voilà notre présentateur qui va devoir éduquer des gens qu’ils considèrent comme stupides. S’adresser à son audience en les traitants d’idiots ou de losers n’est effectivement pas le meilleur moyen de faire avancer sa cause, d’où l’importance de l’autre personnage principal de la série, incarné par Emily Mortimer, qui modifie un peu la présentation. Il suffit de parler aux 5 % de la population « intelligents », de leur exposer les faits, pour faire basculer le sort de la nation. Bien évidemment chaque téléspectateur de ce pilote ne pourra s’empêcher de penser faire partie de cette minorité élitiste qui peut changer le monde. Hein ?
Si je deviens grinçant, c’est parce que, à terme, ce discours m’a irrité. J’aime l’idéalisme (ou le pessimisme selon le côté où l’on se place) mais – et c’était là le risque du dérapage – le mélange est bien trop démonstratif, trop argumenté, et assène bien trop de vérités pour que je n’ai pas envie de dire « stop ». Je salue la volonté, je déplore la rigidité.
Le métier du journalisme a certes bien évolué vers la « peopolisation » (ce qui est regrettable, évidemment), mais certainement pas vers une absence de positionnement (politique ou autre), comme le prétend pourtant notre auteur. Cela n’engage évidemment que moi, mais le journalisme ne consiste pas à déformer les faits pour que cela corresponde à l’opinion du journaliste sur une question. D’ailleurs le fait même que les journalistes pensent qu’ils doivent « éduquer » la population en dit long (chacun son métier !). Donc oui quand je lis qu’un bon journaliste est celui qui a une opinion, je m’insurge. Il y a une confusion des missions, il doit rechercher les faits, les opinions, mais en aucun cas se substituer à ce que relatent les personnes « expertes », lesquelles ont un discours généralement bien plus nuancé et complexe que 140 caractères. Vous l’aurez deviné, j’en ai ma claque des petites phrases montées en épingle ou des reportages orientés uniquement à charge, ne laissant aucune possibilité à l’interlocuteur d’exposer une vision plus large que « le méchant du jour ». (La désinformation en matière sanitaire, écologique, et européenne et sur les sujets scientifiques en général est de mon point de vue absolument scandaleuse, si ce n’est terrifiante).
Pour asseoir sa démonstration sur ce que doit être un « bon » journaliste, Sorkin confond opiniâtreté et opinion. Bien sûr, on ne peut qu’applaudir les journalismes d’investigation (quand ils sont ce qu’ils doivent être, et non un prêche de victimisation baignant dans le sensationnalisme). Mais pour prouver qu’il a raison de s’entêter, Sorkin s’appuie sur une astuce supplémentaire : relater le passé avec les connaissances du présent. Et pour éviter toute mobilisation contestataire, il a trouvé le parfait argument : le désastre écologique de l’off-shore pétrolier dans le golfe du Mexique en 2010. Nos héros vont donc faire toute la lumière en quelques minutes sur les conséquences et les responsabilités dans cette affaire avant même que les autres médias ne s’emparent pas de la catastrophe (on saluera le timing de la performance mixant journalisme de news et journalisme d’investigation). Voilà donc une enquête journalistique sérieuse … qui ne peut que confirmer l’opinion du téléspectateur, lequel a déjà connu tout cela il y a 2 ans. Notre auteur avait donc raison de dénoncer l’impassibilité du journalisme actuel. Qui pourrait donc s’opposer à cela ? Il y a des méchants qui doivent payer, et si les journalistes avaient fait leur boulot en 2010 dans la minute qui a suivi ces évènements comme nos valeureux héros pourfendeurs du mal, ben euh…, euh… ça n’aurait rien changé ou presque sur le désastre. Flûte alors.
Il y a un temps pour annoncer les informations et un autre pour la réflexion (ça s’appelle le recul), et Sorkin n’arrive pas à se défaire de l’aspect politique de sa série, qui prend indéniablement le dessus sur le métier originel de journaliste. C’est d’autant plus vrai que l’épisode commence par un débat sur la grandeur de l’Amérique et sa vision politique. Et dans ce débat patriotique là, Sorkin est magistral, replaçant l’orgueil et les valeurs des États-Unis dans son contexte peu flamboyant. Et j’en redemandais. Mais pourquoi diable passer par le journalisme si c’est pour avancer sur le terrain de la politique ? On sent surtout un besoin de dénoncer certains faits avec le recul et la connaissance d’aujourd’hui (d’où la nécessité de placer la série dans le passé). Ma suggestion : faire un time-travelling & political drama au lieu de s’embarrasser à parler de journalisme.
En effet, les arcanes du journalisme ne sont guère passionnantes dans le pilote. Il y a bien un montage destiné à faire monter une certaine pression au moment de faire la présentation du journal télévisé, mais tout cela est bien trop anecdotique. Un conflit avec le producteur alors ? Que nenni, c’est lui qui a orchestré la transformation de son présentateur, découvrant un soir qu’il avait envie de regarder de « vraies infos » à la télé. Les rebondissements dans la quête de la vérité ? Même pas, le nouveau collaborateur a comme par hasard dans son cercle de famille deux personnes parfaitement placées dans le domaine de l’extraction du pétrole en milieu sous-marin (!). Un conflit éthique ? Bien sûr que non, il ne s’agit que d’une course à la divulgation d’informations, avec juste le risque de fâcher quelques personnes si les informations se révèlent fausses. Mais bon ils sont tellement sûr d’eux, comment pourrait-il y avoir la moindre réflexion ? Pour jeter quelques cailloux dans l’engrenage, Sorkin se contente de personnalités plus ou moins affirmées, et les fait légèrement rebondir.
C’est pourtant grâce à cela que l’épisode s’en tire un peu mieux. Car aussi détestable que soit le positionnement moral ou le comportement du héros narcissique et gueulard, il a une volonté, une direction, du charisme. Les défauts du pilote sont finalement aussi ses qualités. Notre personnage en impose, et par là même, peut se révéler attachant. C’est un peu la même chose pour sa partenaire féminine, même si la longue liste de ses qualités est là encore trop démonstrative et trop pesante (un coup de couteau dans le ventre, vraiment ?). On vous le répète un peu trop, ces deux là sont la crème de la crème et ensemble ils vont faire le meilleur journal télévisé du monde pour les 5 % de gens qui le méritent. Qui ne voudrait pas les suivre ?
Malgré tout ça, j’ai pris du plaisir à regarder l’épisode. Peut-être parce que justement je n’étais pas d’accord avec cette démonstration forcée, mais surtout parce qu’on sent une fois de plus chez Sorkin une vision, une volonté. Les envolées lyriques, les longs dialogues et la musique orchestrale sont réussies et si je conteste son monde et ses mécanismes, je lui reconnais sa capacité à me faire réfléchir, à me mobiliser. Elles sont suffisamment rares, ces séries, et je veux lui donner quelques chances supplémentaires, même si vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu.
The Newsroom incorporates fictional and fictionalized elements and events, and any similarity between characters in the series and the actual person is purely coincidental and unintentional. Nothing in the series is intended to convey or imply facts about any person, elements or events.
Mais bien sûr….
Ta critique de The Newsroom est très intéressante, parce qu’elle éclaire (de manière nuancée et argumentée) bien les deux versants du pilote : d’une part, on est entraîné par l’emballage d’ensemble et l’écriture ; d’autre part, il est possible de réagir contre la démonstration exposée et ses limites (suivant l’opinion que l’on a de la chose).
La place donnée à l’information télévisée, la vision du journalisme paternaliste (ou élitiste, c’est selon), la conception très verticale de la « mission du journaliste » qui « éclaire » la population, tout cela m’a semblé accorder à un tel rendez-vous télévisé une influence qu’ils n’ont plus forcément (le générique et ses références aux 60s’ m’a convaincu de rapprocher la série de The Hour qui se passe justement à cette époque là). Je pense aussi qu’ils ont cherché à marquer en choisissant l’évènement car il s’agissait du 1er épisode ; que la préparation de l’émission, pour cause d’exposition préalable, n’occupe que la dernière partie, donc il a fallu accélérer et forcer les traits.
Mais dans le même temps, le côté un peu grandiloquent fonctionne. La tension quand l’émission prend forme est palpable (et je demande à voir la suite avec justement une émission à la construction moins précipitée). En somme, j’ai franchement beaucoup aimé ce pilote, et en premier lieu, parce que c’est super bien écrit, on se prend au jeu des dialogues ciselés, des envolées lyriques.
J’avoue que ça fait tout simplement un bien fou de pouvoir apprécier ce genre de script.