Going my home faisait partie des projets les plus intéressants pour cette saison au Japon, car cette série, sur le papier cumulait de nombreux atouts : un excellent réalisateur, un des mes acteurs préférés, un sujet à la fois réaliste et décalé. Qu’en est-il du résultat ?
Cela ne plaira pas à tout le monde, et en particulier aux amateurs de blockbusters épileptiques, mais, si vous me suivez depuis un moment, vous savez que j’apprécie énormément les fictions qui prennent leur temps pour évoquer le quotidien, ses gestes furtifs ou invisibles qui trahissent une émotion. C’est dans ce moment là que l’image est sublimée et qu’elle nous renvoie à notre propre existence. Prendre le temps, c’est essentiel pour apprivoiser le personnage et percevoir toute sa complexité, toute son humanité. Dans ces fictions là, impossible de qualifier, résumer le caractère d’une personne : elle sort de votre écran, et vit avec vous ses aventures. Voilà pourquoi j’aime le cinéma de Hur Jin Ho (April Snow) ou de Kore-Eda Hirokazu (Still Walking). Ce n’est pas du cinéma documentaire comme j’entends parfois parler de ce terme, c’est du cinéma qui laisse passer une certaine sensibilité : plus d’émotion et de plans rapprochés pour le coréen, plus de réflexion et de distance pour le japonais.
Kore-Eda Hirokazu tente pour la première fois de passer à un autre medium, celui de la télévision, avec Going my Home, et j’étais vraiment curieux de voir comment il allait adapter ses prises de vue et son montage. La réponse est simple : il n’a rien changé. Alors que des réalisateurs comme Darabont (The Walking Dead) se sont cassés les dents sur ce difficile passage, notre réalisateur japonais a un style tellement efficace qu’on finit par oublier le temps qui passe. Une heure et quarante minutes plus tard, on en veut encore. Non pas pour savoir ce qu’il va se passer, mais parce que ces personnages là font partie de notre univers.
La fiction nous plonge directement dans les travers de la famille Tsuboi. Le père, Ryota, (Abe Hiroshi) travaille dans la publicité, et doit se soumettre aux désidératas de tout le monde : une actrice qui fait son caprice, un client qui ne dit rien sur ce qu’il attend et dont il doit tirer les vers du nez, sans compter que ses collègues le jugent mou et inutile. C’est aussi comme ça que sa propre mère et sa sœur (You, Manhattan Love Story) le jugent : il ne fait jamais ce qu’il faut, ou jamais assez. Pour autant, s’il fuit les tâches et les responsabilités, il n’est pas introverti, il a malheureusement l’habitude d’être jugé en permanence sur ses actions et cette situation lui convient. Sa femme Sae (Yamagushi Tomoko, Long Vacation) a un caractère plutôt fort, c’est une cuisinière qui commence à devenir célèbre, et travaille énormément pour concevoir, présenter des plats. Avec des parents aussi occupés, la petite Moe se sent seule. Il ne lui suffit pas d’avoir un superbe bento qui fait envie à ses copines, elle veut exister aux yeux du monde. Ses parents ne lui parlent de rien et les conversations qu’elle capte ne sont « pas de son âge ». Dès lors, elle vit recluse dans son imaginaire et s’invente des personnes ou des créatures qu’elle seule peut voir. Ça l’amuse d’ailleurs de « torturer » les adultes de son entourage, bien trop rationnels.
Il existe beaucoup d’êtres « invisibles » dans le folklore nippon, comme les kappa dont Marumo No Okite SP fait mention par exemple). Dans Going my Home, on va nous parler des kuna, sortes de petits lutins de quelques centimètres de hauteur, qui vivraient dans la région natale du père de Ryota, Eisuke. Lorsque ce dernier est hospitalisé dans un état grave et dans le coma, la famille doit lui rendre visite régulièrement. Bien qu’elle lui doive du respect, la famille traine les pieds pour le rejoindre, et c’est ainsi que Ryota fait de multiples déplacements dans cette région, toujours accueilli par un étrange chauffeur de taxi (Abe Sadao, Marumo No Okite). Tout en apprenant l’existence supposée des kuna, dont son père faisait la recherche, Ryota va faire une découverte surprenante : se pourrait-il que la jeune femme (Miyazaki Aoi, Tada Kimi Wo Aishiteru) qui rend visite à son père soit sa fille cachée, et donc la demi-sœur de notre héros ?
La série garde son ton intimiste pour aborder tous ces sujets, ce qui permet des moments humoristiques subtils, des instants « vérité » où frère et sœur démontrent leur jalousie respective comme s’ils étaient encore des enfants, des incompréhensions, des malentendus, des taquineries, qui donnent énormément d’humanité à ces personnages. L’irruption du fantastique (via les kuna) ou du secret familial n’est pas contrairement à ce qu’on pourrait penser, un moment où tout bascule, où l’histoire démarre enfin (vous risqueriez de vous ennuyer sinon !). Ces deux éléments donnent un intérêt supplémentaire au récit, un côté décalé amusant qui va permet de mieux passer l’effet « découverte » de cette chronique familiale. Mieux encore, la quête de vérité de notre héros « mou » devrait avoir une répercussion sur sa vie familiale et professionnelle. Et c’est cet aspect là qui me plait le plus, évidemment. Kore-Eda Hirokazu avait réussi – dans Still Walking – à montrer l’évolution des liens familiaux, on dirait bien que Going My Home sera son second chapitre.
J’ai une confiance absolue pour l’avenir. La mise en scène est particulièrement efficace (sans oublier la bande sonore, une guitare discrète qui sied magnifiquement au genre). La lenteur de l’intrigue pourrait en décourager plus d’un, comme dit plus haut, mais l’attachement aux personnages est réel. Le casting entier est fabuleux, à commencer par Abe Hiroshi et You qui avaient déjà joué ensemble dans Still Walking, du même réalisateur, et cela fait plaisir de les voir à nouveau réunis. Leur jeu naturel fait merveille.
En bref, Going My Home est la pépite attendue. A voir de toute urgence si vous aimez ce style de fiction et cette manière de dépeindre l’humanité des personnages.