Le téléfilm britannique Complicit diffusé il y a peu sur Channel 4 est encore un autre exemple de la maîtrise de la réalisation sur un sujet vu et revu à la télévision : la traque du terrorisme. En d’autres termes : Oubliez Homeland, Complicit enfonce méchamment le clou. Ici, une grande place est faite à l’introspection, à la tension, et le face à face entre le suspect et son enquêteur est un summum du genre, parce qu’il met brillamment en scène la haine et l’incompréhension de chacun.
Et pourtant, ça démarre plutôt mollement. Si la fiction dure plus d’une heure et demi, il faut attendre une bonne demi-heure avant que l’intrigue n’avance. Notre héros travaille au Mi5 et est chargé de suivre un activiste musulman qui a participé à maintes manifestations contre l’engagement militaire britannique. Il le soupçonne de préparer un attentat sur le sol anglais à l’aide d’une arme biologique, la ricine, qu’il irait rechercher au Caire, auprès d’un de ses contacts. Mais les preuves sont bien trop minces pour demander une enquête plus soutenue. Et la fiction passe ainsi beaucoup de temps à nous montrer que notre héros ressent très fort la solitude, et la non-reconnaissance de ses pairs.
Avare de dialogues, la réalisation se limite à l’essentiel. Notre héros Edward Ekubo n’a pas de vie privée. On ne le verra jamais plaisanter, ou discuter avec du monde, même avec sa fille ou une aventure d’un soir. Il reste tout entier submergé par sa tâche, qui l’obnubile. Mais ce garçon est pourtant sain d’esprit. Là où Homeland nous montrait que Carrie avait des délires paranoïaques, et surjouait sa maladie mentale, notre héros se contente de se plaindre à ses supérieurs qu’on ne le prend pas au sérieux. Le mot n’est d’ailleurs jamais lâché, mais on peut se poser la question si une certaine part de racisme n’en serait pas la cause (notre héros est un homme noir).
De même si la réalisation se contente de fixer le regard de notre homme, au lieu de nous dire ce qui lui traverse l’esprit, c’est bien pour une fois de plus l’isoler. On sent que la torture, objet de la fiction, est en lui. C’est lui l’homme torturé, qui se pose la question impossible : va-t-il falloir avoir recours à ces méthodes détestables pour obtenir sa vérité ?
En face, son suspect. Un britannique qui clame ses droits, et réfute inlassablement les accusations portées à son encontre. Il faudra de longues minutes pour faire monter la tension, et faire éclater la haine de chacun. Avec la question essentielle : la fin justifie-telle les moyens quand on se retrouve devant quelqu’un qui – semble-t-il – abuse du système censé protèger la population ?
Notre héros ne peut pas compter sur l’aide de ses confrères, dont la lenteur et l’inefficacité sont extrêmement frustrants. Non, il va falloir qu’il prenne une décision, et le téléspectateur tremble avec lui, parce qu’on ne voudrait vraiment pas qu’il en arrive là.
La démonstration est magistrale, et malgré quelques scène finales qui tirent en longueur, le dénouement est à la hauteur de tout ce que le show a tenté de montrer jusque là. Je n’en dis évidemment pas plus. Mais je me doute qu’il y aura des déçus.
Ça n’a pas été mon cas. Le show m’a réellement transporté, fait réfléchir, malgré ses longueurs. Le casting est incroyable, les deux acteurs (David Oyelowo et Arsher Ali) vraiment impressionnants. Un quasi sans-faute, loin de ce que nous offre la télévision américaine. Les dilemmes éthiques de 24 ou de Homeland passent à côté de la plaque parce qu’ils ne prennent jamais le temps de l’introspection, et surtout parce qu’ils ne montrent jamais les conséquences de ce type de raisonnement.