Le statut de la personne handicapée à la télévision américaine (Legit – Pilote)

wheelchair

Il devient de plus en plus difficile de trouver des sujets originaux et intéressants dans les séries. Alors je ne pouvais pas manquer cette occasion de mixer la review d’une nouvelle série (Legit) avec une réflexion sur une thématique importante. Sur le web, dans les journaux, les débats font rage, forçant les créatifs à intégrer un fâcheux système de quotas (la dernière victime en date étant Girls). On ne débattra pas longtemps sur le sujet des quotas. Ce n’est pas parce qu’une série y répond qu’elle est réussie, bien au contraire. J’ai déjà dit que le système était pernicieux à la base, puisqu’une série par essence ne peut être représentative… que de la vision de son créateur, elle ne peut (et ne doit pas) être un microcosme. En revanche, on peut s’interroger sur des absences réitérées et choquantes. En effet, s’il y a bien une minorité non visible à la télévision, ce n’est ni le black, ni le gay, ni l’asiatique, c’est la personne handicapée. Eh oui. On oublie encore trop souvent que cela concerne 15 à 20 % de la population mondiale soit presque un milliard d’hommes et de femmes, dont 200 millions ont les pires difficultés à vivre, que ce soit dans leurs gestes quotidiens ou dans le regard des autres.

jason ritter joan of arcadia

Elles sont rares ces séries qui auront donné ce type de rôles irréversibles, dès leur introduction, sans passer par un stade intermédiaire. On citera les paralysés comme Raymond Burr dans Ironside/l’Homme de Fer (1963), ou  Jason Ritter, qui joua un paraplégique dans Joan of Arcadia (2003). Ou encore Darius Mc Crary dans la sitcom Committed (2005), Kevin McHale (Artie) dans Glee (2009). On peut également citer Scott Porter dans Friday Night Lights (2006), RJ Mitte dans Breaking Bad (2008). Preuve s’il en est qu’on peut aborder beaucoup de sujets avec le handicap, et qu’il n’est pas forcément un argument tire-larmes.

max burkholder

Le handicap mental et social est bien plus fréquent dans les séries télé, et souvent l’occasion de « performances » d’acteur susceptibles d’être récompensés. Ainsi on trouve une multitude d’autistes comme David Mazouz dans Touch, ou de personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsif (Tony Shalhoub dans Monk). Citons aussi une forme d’autisme, le syndrome d’Asperger (Max Burkholder dans Parenthood). Note : Jim Parsons n’interprète pas un autiste Asperger dans Big Bang Theory, d’après les auteurs, bien qu’il en ait plusieurs symptômes. On peut également penser aux schizophréniques (Patrick Dempsey dans Once and Again), aux bipolaires comme Claire Danes dans Homeland, …

Life Goes On

Seulement voilà. Aucun de ces acteurs n’est réellement handicapé, sauf exceptions. En effet, la surdité fut également un trait de caractère de Deanne Bray l’héroïne de Sue Thomas F B Eye. Et Michael J Fox continue de jouer dans occasionnellement dans the Good Wife. N’oublions pas non plus Chris Burke, atteint de trisomie 21 dans Life Goes On (Corky en France). Devant cette substitution d’acteurs handicapés, on pourrait rétorquer qu’il ne s’agit que d’un rôle comme un autre, de la même manière qu’un hétérosexuel peut parfaitement jouer un homosexuel (et vis versa). Sauf que l’analogie n’est pas la bonne, pour de nombreux téléspectateurs handicapés. Pour eux, c’est comme si un acteur blanc devait jouer un acteur noir en se saupoudrant le visage (ou inversement). Ça serait jugé offensant, et à raison. Oui, il y a un processus d’identification pour les téléspectateurs handicapés, qui cherchent un modèle qui leur donne la force de surmonter les épreuves quotidiennes, un espoir pour leur vie future (et pas forcément sous la forme habituelle, compatissante, excessivement empathique). Comment s’identifier à un acteur qui se lève de sa chaise roulante sitôt le clap de fin ? Comment s’enthousiasmer pour une personne qui ne pourra jamais comprendre ce que signifie être limité au quotidien ? Et surtout, comment lutter contre le sentiment d’exclusion, d’ostracisation de toute une population qui n’a jamais accès à ce type de rôles au long cours ?

Cette frilosité des producteurs de série n’est à mon sens pas justifiable. Pour faire un film sur le handicap avec des personnes qui en souffrent, il n’y aucun problème, sans doute pense-t-on que le sujet est susceptible de faire du buzz et de rapporter quelques récompenses dans les festivals. Mais arriver à faire évoluer sur plusieurs années une personne avec des contraintes physiques (et mentales) lourdes, c’est un défi qui fait malheureusement encore peur. Pour information, voici une liste d’acteurs réellement handicapés à la télévision et au cinéma américain.

huge tv serie

Peut-être arrivera-t-on un jour (lointain) à avoir des premiers rôles avec de vraies personnes handicapées. Elles ne font pas rêver, elles ne font pas vendre. Certes. Mais on commence à voir apparaître des personnalités réellement atypiques. Le physique de Lena Dunham (Girls) ou de Peter Dinklage (Game of Thrones) s’éloigne des standards hollywoodiens, ça ne les empêche pas d’accéder à la reconnaissance de leurs pairs. Les obèses sont toujours ostracisés, mais nous avons eu quelques tentatives comme Roseanne, Huge ou My Mad Fat Diary (UK), où nos héroïnes sont de vraies personnes ayant des problèmes de poids.

artie glee

Mis à part le problème de la représentation, il y a aussi et surtout le problème du traitement. Encore trop souvent, lorsque le sujet est simplement abordé, les critiques sont élogieuses. Mais leur plus grand défaut est de rechercher l’empathie, la pitié. Il n’y a qu’à voir les réactions au sujet d’Artie dans Glee. Artie ne sert qu’à donner du courage. Il manque encore des personnages capables d’être définis autrement que par leur handicap. En ce sens, on rejoint là le problème des stéréotypes qui pullulent à Hollywood (cf. ce que subissent nos amis asiatiques par exemple, qui comme chacun le sait sont soit des maîtres de kung fu soit des restaurateurs). Le meilleur moyen de parler des handicapés est encore de montrer leur personnalité, sans faire référence à leurs limitations.

En attendant, il y a des thématiques qui jusque là n’avaient pas été abordées à la télé américaine. C’est la sexualité des handicapés (physiques, et à fortiori mentaux). C’est un tel tabou que nombre d’associations hésitent encore sur la manière de répondre à cette demande. Quand on est isolé sur un fauteuil, vous pensez bien que la drague est difficilement une option. Et pourtant, le désir est là. Les spécialistes trouveront un autre vocabulaire, moins susceptible de choquer (désir d’affection…), mais qu’importe, qui dit désir dit pulsion sexuelle. Pendant des années le secteur social et médico-social a occulté le problème, pensant à des dérivatifs. Mais n’est-ce pas faire preuve d’humanité que d’essayer de satisfaire le désir d’une personne clouée sur son fauteuil ? Et dans le même temps, chercher à y répondre par le biais de travailleuses du sexe, n’est-ce pas aller à l’encontre d’autres valeurs ?

legit

C’est ce qui m’amène à parler de Legit. En effet La série de FX a eu le culot de parler frontalement de ce sujet. Le pilote nous montre comment un comique australien (Jim Jefferies dans son propre rôle) décide d’emmener le frère handicapé (DJ Qualls)  de son meilleur ami (Dan Bakkedahl), afin de lui donner ce qu’il attend depuis de longues années. A 32 ans, ce dernier n’a évidemment jamais pu avoir de relations sexuelles, et son état de santé ne lui permet guère des folies. La solution est trouvée, il finira par soulager son désir (et sa curiosité) avec une prostituée compatissante, non effrayée par son handicap. On notera au passage que les instructions qui sont données à cette dernière sont rudimentaires (et potentiellement dangereuses).

Un grand bravo, donc pour avoir parlé d’un sujet extrêmement sensible. Cependant, cela n’en fait pas pour autant une série agréable à suivre, malheureusement. Le gros problème du show n’est pas la façon dont on se moque du handicap, (et ça rappellera pour certains le film français Intouchables). Non, c’est son personnage principal, Jim, qui n’agit pas seulement pour rendre service, mais bien pour ses propres intérêts. Notre « héros » a vite compris le truc : le handicap inspire tellement de pitié que les gens sont admiratifs dès qu’ils voient une personne valide s’en occuper. Dès lors, Jim évite les amendes, et pense avoir trouvé le piège à filles ultime. C’est un personnage volontairement cynique qui balance ses vannes avec un style d’humour vraiment particulier. Et c’est ce qui m’a empêché d’adhérer à la série.

C’est dommage car il y aurait eu de la place pour quelque chose de plus tendre et drôle, permettant de rendre notre héros plus sympathique. Mais comment rire de quelqu’un d’aussi égoïste ? Seinfeld avait trouvé la solution pour rendre ses personnages détestables hilarants : il fallait les ridiculiser. Or ce n’est pas du tout le cas ici. J’espère évidemment que dans l’aventure Jim s’ouvrira sur le monde et cessera d’utiliser les gens pour son propre confort, et sans doute est-ce le récit qui nous attend. Mais il aurait fallu donner quelques indices, une lueur d’espoir… En l’état, je ne continuerai donc pas la série.

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