De nombreuses séries européennes aiment raconter la vie de nos familles au 20è siècle. Cette période charnière de l’histoire de l’humanité contient en effet tous les éléments qui peuvent faire une grande série : le drame de deux guerres mondiales, la montée de la xénophobie, le droit des femmes, la victoire de l’idéologie capitaliste, le progrès scientifique et ses limites éthiques, les avancées sociales, le début d’une nouvelle crise à l’aube de la mondialisation… L’idée d’une grande épopée reprenant l’évolution de différentes générations n’est pas nouvelle, mais elle est enthousiasmante.
Les britanniques avaient déjà deux séries phares pour illustrer ces propos : Downton Abbey qui relate de manière très romancée la survie de l’aristocratie britannique, et Call the Midwife, drame humaniste centré sur les années 50. Deux gros succès d’audience qui font marcher à la perfection une certaine nostalgie et un regard plein d’amour (mais pas dénué de critique) sur les relations sociales de l’époque. Peter Moffat a décidé de saisir la balle au bond, et nous propose à son tour de suivre l’épopée d’un village, de la première guerre mondiale aux années 60, voire au-delà.
Il lui fallait trouver un ton, car il faut bien le dire, relater une telle époque n’est plus très original, et pour tout amateur éclairé de fiction, il y a un risque de ne trouver que l’effet « carte postale ». Et c’est malheureusement ce qui s’est produit avec ce premier épisode, qui relate la dure enfance d’un villageois qui deviendra centenaire (et narrateur) : Bert Middleton.
Bert a 12 ans, c’est un gaucher contrarié à l’école. Fils de paysan, il s’éveille peu à peu au désir (en reluquant les bains des dames), et tombe amoureux d’une demoiselle bien plus âgée que lui, Martha Lane, une aristocrate qui milite pour le droit de vote des femmes. Bert est surtout victime de l’intransigeance, de la sévérité voire d’une certaine cruauté de deux figures adultes : son maître d’école, d’abord, qui pratique les punitions corporelles avec plaisir, et son père (Jon Simm, Life On Mars), ensuite, un fermier qui n’hésite pas à l’enfermer dans une armoire parce qu’il ose essayer de nager au lieu de travailler dans les champs. Non, on ne rigole pas dans la famille Middleton. Et si la mère arrive à détourner les colères de son mari par le plus vieux moyen du monde, elle essaye surtout d’offrir une meilleure vie à son fils aîné, Joe (Nico Mirallegro alias Finn dans My Mad Fat Diary), qui travaille déjà comme serviteur de la famille Allingham. Et cette opportunité viendra en 1914, lorsque l’Allemagne entre en conflit avec la Grande-Bretagne… Joe va alors s’engager dans l’armée, laissant son père désespéré de ne pas pouvoir transmettre son patrimoine. C’est donc au benjamin, Bert, de prendre la relève dans les champs, même si cela signifie pour cela abandonner l’école…
Si la dureté de la fiction est intéressante, elle pêche surtout par son manque d’émotion. Notre héros n’exprime jamais sa tristesse, ne tente pas de se révolter, et semble finalement indifférent à son sort. Les scènes sont en effet très austères, et ce monde froid et dépourvu de sentiments finit par endormir le téléspectateur, déjà passablement fatigué par un rythme de narration extrêmement lent. L’effet « carte postale » a été bien trop recherché. Les scènes sont heureusement bien filmées, les paysages mis en valeur, et on rentre sans difficulté dans cet univers.
L’épisode n’offre finalement que peu de scènes pour se détourner de cet univers froid, avec quelques notes d’humour sur les escapades de notre apprenti voyeur, ou une relation physique dont la romance minimaliste aura bien du mal à convaincre.
Mais malgré ces défauts, le souffle épique est bien là, c’est l’essentiel. Et ma curiosité a été piquée. Si seulement le rythme pouvait s’accélérer et la description laisser davantage de place à l’émotion…