La seconde saison va commencer dimanche soir sur la BBC, alors j’arrive juste à temps pour le rattrapage. Et quel rattrapage ! Call the midwife est une fiction qui vous envoûte, vous transportant sans difficultés dans les années 50, dans les quartiers pauvres de Londres.
Le choix des années 50 n’est pas le fruit du hasard, car c’est l’un des tournants historiques dans la lutte contre la pauvreté, avec notamment la fin effective des « workhouse », ces bagnes pour indigents aux conditions de vie extrêmes. On y enfermait les pauvres sous prétexte de les « aider », on les forçait à travailler plus de 18 heures par jour, et la plupart n’y résistaient pas. Avec la création d’un véritable programme d’aide sociale, La Grande-Bretagne va alors devenir une société moderne, appuyée par les progrès technologiques et médicaux.
Ce qui frappe dans cette reconstitution, c’est que cette évolution n’est ni idéalisée ni critiquée. Nos personnages ne se battent pas contre un système qui force les gens à quitter leurs maisons car elles sont insalubres, ils se contentent à leur niveau, d’essayer de faire le bien autour d’eux. Nos héroïnes sont des infirmières, sage-femmes. Elles sont le fer de lance du progrès : elles visitent les maisons, et apportent leur aide à des personnes isolées, ou à des familles nombreuses. Ainsi confrontées à la détresse, elles se battent, ne renoncent jamais, et font preuve de beaucoup de chaleur humaine. Le fait que ces infirmières soient hébergées par des nonnes n’est pas non plus un hasard. Elles font le lien entre la charité et la désormais institutionnalisation du système de santé britannique (le fameux NHS qui rend les britanniques si fiers a été mis en place dans cette période). Elles ont une vie privée réduite, mais qui ne demande qu’à s’épanouir. Leurs histoires de cœur sont l’objet de secrets, de confessions, mais aussi de solidarité féminine qui fait plaisir à voir. La bonté de ces personnages fait le parfait contrepoids aux histoires tragiques qui nous sont contées. Il fallait insuffler de l’espoir dans ce monde où la mort, l’extrême pauvreté, la folie, est à chaque coin de rue. Oui, c’est dur, très dur. Et rien ne nous est épargné. Mais malgré ces regards tristes, désespérés, nos femmes relèvent la tête, trouvant en quelques scènes le moyen de faire retomber la pression (écouter de la musique ou lire). Notre héroïne a beau être instruite, elle n’a pas été préparée à ce choc quand elle découvre les ravages de la pauvreté, ce moment d’effroi où les conditions d’hygiène sont tellement déplorables chez un particulier qu’elles vous donnent un haut le cœur. Et pourtant, chaque matin, même sans avoir dormi, elle part au travail en souriant, sans s’adjuger le rôle de l’héroïne. Car pour elle, elle n’est qu’une force de soutien à de véritables héroïnes, ces femmes ordinaires qui luttent chaque jour dans un environnement précaire, élevant tant bien que mal des dizaines d’enfants, enceintes, fatiguées, mais déterminées à donner le meilleur d’elles-mêmes.
On peut facilement comprendre le succès de la série chez nos amis britanniques puisqu’elle décrit précisément le début d’une nouvelle ère, où les forces de progrès vont finalement l’emporter sur une bonne partie de la misère et de la maladie. C’est aussi une période charnière où tout le monde se connaît encore dans le quartier, et se respecte. L’infirmière, le médecin, le policier ont un rôle qui leur permet d’avoir la reconnaissance qu’ils ont perdue de nos jours. C’est un moment de l’histoire où la solidarité était requise pour survivre, et où les institutions n’étaient pas déshumanisantes. Les moyens étaient limités, mais il y avait cette flamme, cet espoir que les choses allaient s’arranger. On ne peut s’empêcher de faire des va-et-vient entre ce passé et son présent.
Le décor est particulièrement soigné, permettant au téléspectateur de ressentir intensément les joies et les difficultés de l’époque. La contraception n’existe pas, même si nos infirmières donnent les premiers cours concernant l’usage du préservatif. Les petits prématurés n’ont que peu de chance de survie. Mais les secours s’organisent, appuyées par la généralisation des postes téléphoniques. Les premiers avantages de l’urbanisation se font connaître. Tout un réseau est là, à échelle humaine, des professionnels (ambulanciers, policiers, infirmières cyclistes, médecins) aux bonnes volontés qui disposent d’un véhicule motorisé.
Mais il n’y a pas que le décor. Il faut également rendre hommage à la mise en situation des accouchements eux-mêmes. Je craignais la répétition, j’y ai vu de nombreuses histoires passionnantes et bien réalisées. Il est assez rare d’utiliser de vrais bébés maquillés dans les séries, et j’ai vraiment été agréablement surpris de voir ce sang, ce cordon, et même des prises de vue de têtes sortant du bassin, avec des bébés gesticulant et s’égosillant. Bref, on essaye autant que possible de limiter la triche, et cela rend les scènes encore plus poignantes.
Call the midwife est aussi une réussite pour son casting, impeccable, et ses personnages haut en couleur, et notamment la présence de Miranda Hart (Miranda), en infirmière au physique ingrat, maladroite mais dotée d’une générosité à toute épreuve. Elle aura droit à son histoire d’amour, sans s’attarder sur les ressorts soapesques habituels. On citera également les nonnes, entre celle qui est potentiellement démente et celle qui est râleuse, une vraie force de la nature, il y a de quoi sourire. Le personnage principal, incarné par Jessica Raine est beaucoup plus réservé, secret, même. J’ai moins adhéré à son passé, mais gageons que la seconde saison saura mieux développer son univers. Toutes sont volontairement sympathiques, chaleureuses, solidaires, volontaires. L’humour est présent, par petites touches, entre les attitudes de chacun et leur petites piques. On en oublie pas pour autant la tragédie épouvantable pendant une heure, mais cela met nos petits cœurs au repos pendant quelques minutes, et ce mélange fonctionne parfaitement.
Au final Call the midwife correspond parfaitement à ce que j’attends d’une fiction : ses thématiques humaines, chaleureuses, tragiques, son contexte historique qui permet de mieux s’interroger sur notre présent, ses personnages qui ne sont pas plantés dans un simple décor, mais qui y vivent, en ressentent ses limites, ses espoirs, en ébranlant leurs certitudes mais pas leurs bonnes volontés. A recommander, sans hésitation. Une vraie, grande et belle série.