Quand j’ai commencé à faire ce blog, je ne pensais pas y faire de critiques par épisodes, mais plutôt des bilans, des ressentis, des analyses de séries contemporaines ou non.
Seulement voilà, il arrive que des épisodes de série traitent de problèmes passionnants en lien avec votre métier, vos études ou vos intérêts.
J’ai toujours été un immense fan de House. A ses débuts, la série réussissait le pari de retourner la relation patient-praticien d’une façon jamais vue à la télé, loin, très loin de la vision idéaliste du gentil docteur et du gentil patient. Elle se permettait même d’en rajouter occasionnellement une couche sur le coût d’un traitement, rendant ainsi la série médicale bien plus réaliste que ne l’était ER (Urgences).
Bien sûr, la série a fait du chemin et s’est peu à peu transformée pour axer ses intrigues sur ses personnages et des procédures médicales dangereuses et … visuelles. Je suis resté car la série a toujours été très bien écrite et très bien interprêtée, et que les énigmes médicales résonnaient à mes chères études. Néanmoins, je regrette quand même la disparition de ces séquences de consultation qui en disaient tellement sur l’évolution de la médecine dans la tête des gens. Je regrette aussi le départ de Jennifer Morrison, qui outre une relation ambigue avec House, avait un vrai background, et incarnait une des dérives psychologiques du soignant. Car franchement, les escapades sexuelles d’Olivia Wilde n’apportent rien au côté médical du show.
Et puis, les auteurs se sont enfin rappelés qu’ils avaient des personnages sous-exploités. Cet épisode de House (6.13) raconte la journée de Lisa Cuddy. Une occasion en or pour faire une critique sur l’hôpital, son financement, son personnel, ses patients… Un régal pour ceux qui comme moi s’intéressent de plus près à ces questions.
Car diriger un hôpital, de nos jours, c’est très dur. En plus, quand on est une femme avec un enfant malade et qu’on essaye d’avoir une vie de couple, mais ça c’est la cerise sur le gâteau, le lien avec le personnage de Cuddy qu’on croit si bien connaître. L’épisode est donc structuré autour de plusieurs intrigues :
– l’enfant malade (qui inquiète sa mère) et Lucas qui débarque toujours intempestivement avec ses besoins à lui, son propre planning…
– House, pareil à lui-même, qui met l’hopital sens dessus-dessous, fait des paris, demande des autorisations pour des pratiques peu conventionnelles…
– la budgétisation de l’hôpital. Il faut ainsi rappeler les dérives du système américain qui fonde la pérennité de l’hôpital sur des accords avec les compagnies d’assurances médicales (dans cet épisode, il s’agit tout bonnement de la croissance du budget de reconduction). L’hopital ne peut risquer de rompre le contrat avec l’assurance, au risque de perdre toute sa clientèle. En effet, la clientèle de l’hopital est constituée majoritairement de ces patients qui ont cotisés à titre privé ces assurances médicales spécifiques [ lesquelles assurances font des pressions sur les établissements pour réduire les coûts (ce qui conduit à des scandales de prise en charge minimalistes)]. On voit ainsi toute la négociation de Cuddy, qui met en péril son job auprès du Conseil d’Administration, pour avoir une croissance suffisante par rapport à l’inflation, et donc maintenir l’attractivité de son hopital. La séquence où Cuddy essaye de menacer les patrons d’assurance est terriblement juste et cruelle : ces requins se foutent bien de leur image publique, elle est déjà tellement entachée par des sordides affaires de refus de soins. C’est le grand écueil du système de santé américain : fonder la réduction des coûts par des systèmes gatekeepers qui ne donnent aucune liberté au patient déjà bien chanceux s’il peut se payer une assurance médicale.
– Le vol de médicaments pouvant servir à des réseaux de drogue. On voit ici toute la difficulté pour un directeur de virer une personne qui a commis une faute, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait d’un vrai trafic organisé. La responsabilité de l’employeur est engagée.
– Une autre dérive du système : les patients qui demandent des prescriptions médicales de traitements expérimentaux en essayant de se faire rembourser. C’est particulièrement criant pour les traitements anti-cancéreux qui coutent trop chers (il faut avoir une très bonne mutuelle pour y avoir droit). Du coup la population se tourne vers des moyens très peu fiables mais dont ils ont entendus parler sur Internet.
– Enfin la judiciarisation du rapport entre le médecin et le patient. Le médecin qui a une obligation de moyens et qui donc met tout en en oeuvre pour soigner son patient. Et le patient qui attaque en justice pour couvrir des soins qu’il ne peut payer (Le seul moyen pour de millions de gens aux USA de recourir à des soins). La scène est très bien faite, entre l’avocat, le patient qui culpabilise d’attaquer mais qui n’a pas d’autre choix, et le directeur d’hopital qui ne peut se permettre de gaspiller des millions en protection juridique. La résolution de l’affaire est bien jouée : on voit que Cuddy renonce à encaisser le chèque concernant les soins. Tout ce qui l’intéressait c’était de ne pas perdre encore plus d’argent, elle ne voulait pas non plus mettre à la rue le pauvre patient.
On voit ici une partie du panel du métier de directeur d’hôpital (il manque encore tout l’aspect règlementaire concernant la démarche qualité, la mise aux normes – un sujet qui nécessiterait à lui seul un épisode, mais comment faire passer le message à l’heure où l’on ne parle que de maladies nosocomiales).
Au vu des réactions que j’ai pu lire, notamment chez les fans de la série, l’épisode n’a pas particulièrement été bien accueillie. Tout le monde voulait des remarques acerbes, du House, des cas médicaux tordus et pas une critique du système de santé américain, chose pas forcément accessible bien que l’épisode était à mon sens remarquable. C’est le premier épisode dans lequel je vois non seulement une critique du système mais aussi la difficulté du job de directeur, ses contraintes éthiques, financières, ses responsabilités et ses répercussions sur sa propre santé, son entourage…
S’il n’y avait qu’un épisode de House à conserver cette saison, pour le moment, ce serait bien celui-là. N’en déplaise aux fans.
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