L’Hallyu, ou vague culturelle coréenne

La vague culturelle que nous connaissons aujourd’hui n’est pas née par hasard.

Elle est l’une des conséquences involontaires de la pression américaine à la fin des années 1980 pour pénétrer le marché culturel coréen et distribuer directement les films américains, sans passer par une compagnie coréenne importatrice. Cette libéralisation massive a eu pour conséquence de fermer nombre de cinémas « importateurs », certes, mais ça a surtout eu pour conséquence d’affaiblir la production cinématographique locale. Dans le même temps, l’offre télévisuelle américaine connaissait un grand essor via le satellite.

Ce n’est qu’à la suite de la grande crise financière de 1997 que la Corée du Sud comprit l’intérêt de ne pas laisser mourir peu à peu sa culture. Sopyonje, dernier film d’Im Kwon Taek, cinéaste vétéran prolifique, franchit pour la première fois la barre du million de spectateurs à Séoul. Ce succès phénoménal pour l’époque interrogea le pouvoir en place, qui se mit à étudier sérieusement l’impact de la production culturelle sur l’économie du pays. Une autre stratégie allait voir le jour.

La censure s’arrête ainsi en 1988. Aidé par de talentueux nouveaux réalisateurs qui ont vécu jusqu’alors l’oppression, (comme Park Chan-Wook, marqué extrême-gauche) le cinéma coréen va s’épanouir. En 1999, Shiri marque une nouvelle étape : le film d’action et de suspense de Kang Je-Gyu, qui s’inspire des blockbusters hollywoodiens mais ajoute la dose mélodramatique propre à la culture coréenne, domine largement les films américains. Et chaque nouveau blockbuster fera encore plus fort, écrasant Titanic, Harry Potter, Matrix, Star Wars ou Le seigneur des Anneaux, : JSA (Joint Security Area) , Friend, Silmido, Taegukgi (frères de sang)… pour atteindre 11 millions d’entrées, soit presque la quart de la population de la Corée du Sud. A ce jour, le record est tenu par The Host (13 millions). En 10 ans, plus d’une trentaine de films feront plus de 5 millions de spectateurs. Et les films deviendront des succès internationaux, comme My Sassy Girl qui fut numéro un dans toute l’Asie du Sud-Est, éclipsant toutes les autres productions. La reconnaissance vint assez rapidement à Cannes, Berlin, Venise, Deauville, Gerardmer : Old Boy, Poetry, Locataires, 2 sœurs

Outre le cinéma, la vague culturelle coréenne va s’étendre grâce à un autre média : la télévision. Les dramas coréens trouvent leur public non seulement dans leur pays d’origine, mais s’exportent facilement. On citera bien entendu Winter Sonata, véritable phénomène en Corée et au Japon, et source de revenus plus que juteux pour les tour-opérateurs qui effectuent des circuits autour des lieux de rencontre des héros de cette fiction. Un an après la diffusion de la série au Japon, le tourisme japonais en Corée du Sud avait augmenté de 40 %. Mieux encore, beaucoup de fictions coréennes rencontrent le succès ailleurs que dans leur pays d’origine, comme Tamra the Island, plébiscitée là aussi au Japon. La plupart des pays du Sud-Est asiatique diffusent d’ailleurs régulièrement les dramas coréens, qui sont les fictions étrangères les plus populaires en Chine, au Vietnam, en Thailande, à Hong Kong, aux Philippines, au Japon… La popularité de ces dramas va même bien au delà de l’Asie du Sud-Est, pour atteindre les USA via des DVD sous-titrés, ou des services VOD comme Netflix, ou encore du streaming gratuit et légal via DramaFever (un site de VOD qui collabore avec Withs2, une équipe amateur de sous-titrage). Enfin, signalons la popularité grandissante des dramas coréens au Moyen-Orient, ainsi que le début d’une percée en Europe (diffusion dans les pays de l’Est, et depuis peu en France).

Le phénomène prend tellement d’ampleur qu’il réveille des réflexes nationalistes. En Août dernier, 300 puis 6000 japonais ont protesté devant le siège de FujiTV, parce que la chaine japonaise diffuse, selon eux, trop de dramas coréens. « No more Korean Wave », ont-ils brandit.

Comment expliquer le succès de ces dramas ?

Kim Youna, Professeur à l’Université américaine de Paris, essaye de l’expliquer. Tout d’abord les dramas ont une puissance émotionnelle incomparable, capables de capturer une large palette de nuances en adoptant différentes techniques. Ensuite, ils présentent une vie urbaine moderne qui fait rêver les jeunes asiatiques, tout en montrant que cette modernisation s’accompagne du respect des traditions et de la culture : respect de la vie familiale, respect des aînés, et amour fraternel. Enfin, il y a la dimension politique et historique de la Corée, son passé tragique, sa propension à l’émotion et la nature non agressive de ses habitants.

Il ne faudrait cependant pas oublier que si la Corée s’exporte, c’est parce qu’elle a dans ses gênes le culte de l’apparence. Paraître est toujours mieux vu que savoir parler. Suivre la mode en Corée du Sud est une quasi-obligation quelle que soient les moyens financiers d’une famille. Il faut savoir se vendre. Le corollaire étant évidemment la chirurgie esthétique… et l’industrialisation des stars. Si les dramas ont du succès, c’est parce qu’ils sont portés par des stars. Toute l’émotion – et donc en grande partie ce qui fera  le succès de la fiction – repose sur ces acteurs et leur alchimie. C’est pourquoi le casting d’une série est toujours plus mis en avant que son scénario.

La popularité des stars coréennes est absolument énorme en Asie du Sud-Est. On citera évidemment Bae Yong Joon, l’acteur de Winter Sonata, renommé Yon-sama au Japon (« sama » étant un titre honorifique équivalent à la royauté). Mais il serait réducteur d’assimiler les fans de stars coréennes à des femmes japonaises d’âge moyen (comme a pu le laisser sous-entendre un reportage télévisé). Bien au contraire, les dramas rassemblent plusieurs générations. En témoignent par exemple la popularité de jeunes acteurs comme Jang Geun Suk, Lee Min-ho, Kim Bum, Hyun Bin, ou Park Shin Ye. On ne compte plus les fan-clubs d’acteurs et de chanteurs, fan-clubs des Philippines, de Malaisie, d’Indonésie, des USA, de Singapour, de Turquie, d’Arabie Saoudite, de Brunei, d’Égypte…

Et au delà du phénomène des dramas, c’est bien la K-Pop qui est le nouveau fer de lance de l’Hallyu. Ces chansons coréennes s’exportent très bien, et auraient un poids économique de bientôt 3 milliards d’euros. Les groupes et chanteurs de Super Junior, SHINee, Girls Generation, 2PM, Big Bang sont les dignes représentants de l’Hallyu, version K-Pop. En 3 ans, la croissance de la K-pop dans les pays d’Asie, et d’Amérique du Nord varie entre 30 et 60 %. Le groupe TVXQ a rapporté plus de 80 millions d’euros au Japon, Kara et Girls Generation près de 20 millions.

Comment la K-Pop a-t-elle pu pénétrer aussi massivement le marché japonais ?

Les artistes coréens ne se contentent pas de faire des visites ponctuelles, ils restent invités pendant des semaines dans les émissions télévisées japonaises, et adaptent leur répertoire : Girls Generation chante en japonais ses plus grands succès. Et leurs titres s’inspirent résolument de la musique occidentale (electro house européenne, R&B américaine), ce qui apporte un vent de fraicheur au Japon. Quant à l’image véhiculée, les chanteuses agissent davantage comme des jeunes femmes adultes et sexy, montrant davantage d’anatomie, contrairement aux mignonnes adolescentes japonaises. Enfin, l’outil internet est parfaitement exploité, entre teasers, introductions, clips vidéos diffusés largement sur Youtube, tandis que la censure japonaise rode (Lady Gaga en a fait les frais récemment).

Et depuis Juin 2010, la K-Pop étend son influence en Europe. Le SM Town, concert parisien  réunissant les plus grandes stars de la maison de disque SM Entertainement, démontre que le public est là aussi présent : 1,3 million d’euros rapportés. Après une tentative l’an passé de mettre de la K-pop au menu de la radio NRJ, voilà que les maisons de disque françaises comprennent cet engouement. Le dernier album du groupe Girls Generation sera vendu par Polydor, filiale d’Universal Music. C’est une avancée historique. et les fans de Jpop sont un peu amers, car ils n’ont jamais obtenu ce que la K-pop est en train d’obtenir en à peine quelques années.

L’ Hallyu est largement soutenue et reprise par l’État et les médias coréens, véhiculant des valeurs positives et dynamiques. Et la population sud-coréenne elle-même y puise une très grande fierté. Pourtant, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un business lucratif, aux dépends des intéressés. Par exemple, dans la K-Pop, les rythmes d’entrainement sont épuisants, et les interprètes, qui se lancent à cœur perdu dans leurs rêves, ne gagnent que très peu d’argent. Tandis que le rythme de tournage de nombreux dramas (quasi-live) occasionne de plus en plus souvent accidents et épuisements.

7 réflexions sur “L’Hallyu, ou vague culturelle coréenne

  1. Superbe initiative que ce « Korea Special Event » !

    Merci pour cette entrée en matière à la fois synthétique et complète. C’est un passionnant et très riche article. J’aime beaucoup le soin que tu as d’éclairer toutes les facettes de l’Hallyu, en dressant un état des lieux vraiment intéressant, avec une approche historique (notamment ce dynamisme autour du cinéma que je connaissais assez peu) mais aussi la situation présente et d’éventuelles perspectives futures.
    Tu poses parfaitement le cadre de cette vague culturelle 😉

  2. Je rejoins en tous points Livia pour te remercier de cet article intéressant. Il est d’autant plus pertinent que tu brosses l’ensemble du phénomène, en n’occultant pas la dimension cachée et moins reluisante.

    Je me demande de quelle manière ce phénomène va tourner en France. Est-ce que cela va se tasser, comme tout effet de mode, ou au contraire, prendre une toute autre ampleur ? La Corée du Sud a su s’engouffrer dans la brèche, au contraire du Japon qui de toute manière, semble s’en ficher royalement. L’analyse de Tanja à ce sujet est malheureusement très vraie d’ailleurs. Honnêtement, je suis contente pour les fans que toute cette culture arrive jusqu’à chez nous, qu’il y ait des concerts, des DVD, etc., même si de mon côté, pas grand chose ne me concerne. Moi, j’attendais et j’espérais ça avec le Japon. Tant pis.

  3. Merci pour vos commentaires.
    @ Kerydwen : Je comprends ta déception. J’ai vraiment l’impression que les japonais n’ont pas ce désir de conquérir des marchés culturels. Si ça marche tant mieux, mais ils ne feront rien pour s’implanter. C’est un trait de culture, peut-être. Ou la marque d’un pays vieillissant qui se replie sur lui-même ?
    Je ne pense pas que tout soit perdu pour le Japon. Il peut très bien profiter de la brèche ouverte par la Corée. Mais pour ça il faudrait que ça bouge dans certains fauteuils.

  4. Je vois ça plutôt comme un trait de culture. Ils se trouvent bien comme ça et s’ils veulent développer leur culture internationalement, ça se fera à leur propre rythme. On peut prendre l’exemple de la Johnny’s Jimusho qui garde ses « artistes » au chaud, au Japon, et qui marche à reculons pour les envoyer ailleurs. Ils s’ouvrent maintenant un peu plus du côté des autres pays asiatiques mais le jour où l’on verra des groupes de Johnny’s en France n’est pas encore prêt d’arriver à mon avis.

    Sauf que là, le Japon est passé à côté de quelque chose de « gros » en France. Je me souviens encore des années 2003-2005 où il y avait moyen de faire quelque chose de sympa côté jrock / visual. Il y a eu de très bons groupes, nous sommes d’accord, mais arrivé en 2011, il reste quoi ? Même si le Japon changeait de politique à ce niveau, ce dont je doute avant au moins plusieurs années, ils auraient probablement beaucoup de mal. Chez eux, on retrouve de plus en plus de Sud-Coréens au classement Oricon. La jpop souffre beaucoup en ce moment et a en plus du mal à se renouveler. Là où le Japon peut réussir à supplanter la musique coréenne c’est avec le rock, bien que ce soit forcément moins vendeur que les boys/girls bands hyper-formatés de Corée du Sud.

    A notre niveau, un autre problème japonais est qu’ils ont une politique hyper stricte concernant le droit à l’image. Toujours du côté de la musique, c’est hyper difficile de trouver des clips qui ne risquent pas de sauter de Youtube en deux secondes. Du côté des séries, c’est également très dur d’avoir des photos et des images promotionnelles dignes de ce nom. La Corée du Sud fait tout l’inverse et donc tout finit par nous arriver et nous donner envie de s’y intéresser.

    Bref, tout ceci pour pas dire grand chose si ce n’est que j’aurais adoré que le Japon ait une politique d’expansion plus ou moins similaire à celle de la Corée du Sud 😉 Même si évidemment, tout n’est pas parfait et qu’il y a clairement une dimension capitaliste derrière tout ça.

  5. Très bon article! Merci beaucoup! Par contre il y a une faute je crois c’est en Juin 2011 que le Smtown est venu en France à Paris!

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