24 : fin du temps règlementaire

24 s’est achevée il y a quelques jours dans une relative confidentialité. Qu’il est loin le temps où la série avait su recueillir les éloges de la presse. Je me souviens des propos dithyrambiques de feu la revue Episode : le temps réel ! le split-screen ! un président noir ! un héros/justicier  solitaire ! le suspense ! le final de la première saison !

Oui à l’époque, la première saison de la série avait su donner une bonne claque, malgré l’amnésique Teri Bauer (Leslie Hope). L’enthousiasme ne nous a pas permis de nous projeter, et de voir que quelques années plus tard, tout ce qu’on considérait comme une avancée en terme d’écriture, n’était au contraire qu’une restriction du champ des histoires possibles. (J’en parlais déjà dans mon article sur Lost).

Commençons par le temps réel. Si le suspense fonctionne bien à ses débuts, très vite on ne fait plus référence à cette horloge qui rythme les coupures publicitaires. Le héros doit parcourir la ville en un temps record pour arriver au lieu d’action à la fin de l’épisode. Ca en devient risible (téléportation instantanée ou presque), au point qu’il a fallu faire abstraction du concept originel pour continuer à prendre un peu de plaisir au visionnage.

Mais qui dit temps réel, dit impossibilité de raconter une histoire par flashbacks, raccourcis temporels, etc.. On se retrouve donc dans une plongée au cœur de l’action et rien que l’action. Comment donner du vécu au personnage, comment lui donner de la profondeur en le voyant s’époumoner juste pendant 24 heures ? Il y a là une énorme contrainte : les personnages n’ont pas de vie, ils sont des pions. On s’en est d’ailleurs bien vite aperçu, la vie amoureuse des membres de la CTU était plus qu’horripilante, elle ne faisait que retarder l’action, elle n’était pas compréhensible ou attachante puisqu’on avait du mal à imaginer son background.

Dès lors, à force de considérer les personnages comme des pions, et à force de privilégier l’action « en temps réel », il ne restait plus beaucoup d’alternatives pour captiver le téléspectateur : il fallait supprimer les pions un par un, et recentrer l’histoire sur Jack Bauer, seul élément viable.

On assiste donc au show de Kiefer Sutherland (pour lequel je n’ai jamais compris ses Emmys Awards.  Il faut croire que répéter Put The Gun Down suscite une émotion réelle). Il n’y a rien de construit autour de lui. Toute la série s’est construite par un procédé d’audimat vieux comme le monde : tuer son entourage au fur et à mesure (sauf cette tête à claques de Chloé, allez comprendre le masochisme des scénaristes). Double impact : ça permet de ranimer temporairement l’audimat, et ça permet de donner une orientation à Jack Bauer : il sera le héros solitaire, le justicier qui perd peu à peu toute la foi qu’il avait envers ses collègues, ses supérieurs, l’appareil politique, puis l’autorité ultime : le Président des Etats-Unis.

Nous étions parti d’un héros qui devait redresser l’Amérique, en sauvant un président noir. Nous sommes arrivés à un faux justicier qui se bat contre un président corrompu. Toute la série se base sur la déchéance de ces deux personnages : Jack Bauer, et le Président des Etats Unis. Et si au début on nous disait que les décision respectueuses de l’éthique prévalaient, nous avons finalement vu se dépêtrer un homme qui devenait de plus en plus antipathique.

Mais que raconter d’autre sur Jack, au fur et à mesure des saisons ? Le rendre suicidaire ? Déjà fait. Le mettre en cavale ? Déjà fait. Le faire mourir ? Mais comment faire un film alors ? Non, il n’y a qu’une seule voie d’évolution possible : le rendre encore plus « borderline » , ce qui pour moi est d’une paresse scénaristique infinie.

« Borderline » ? Oui, c’est le mot qui convient. C’est à dire que pour Jack, la fin justifie les moyens, surtout quand on traite avec des terroristes, et même plus tard, quand on traite avec un Etat corrompu. Je n’aurai jamais compris l’extase provoquée par la seule histoire qu’on nous a raconté pendant 8 saisons. Jack est devenu prévisible, il agit seul ou presque, à grands renfort d’hémoglobine et d’actes de cruauté, se croyant garant des valeurs morales des Etats-Unis.

La série s’enferme donc dans son schéma d’action, de violence. Il n’y a plus que ça pour captiver l’audience. Au fur et à mesure les histoires sont devenues de plus en plus irréalistes, avec un Jack qui survit à une attaque nucléaire, à une irradiation, à une bonne dizaine d’arrêts du cœur, à des dizaines de balles, d’explosifs, à faire pâlir d’envie Arnold Schwarzenegger.

En recherchant à prolonger une expérience originale, elle a perdu toute crédibilité. Les saisons se ressemblent toutes : des terroristes qui disposent d’une bombe sur le sol des Etats-Unis, un traître dans les unités anti-terroristes, le remplacement du chef de la CTU, un pouvoir politique empêtré dans des choix éthiques, Jack Bauer qui voit son entourage tomber sous les balles,  Jack Bauer qui doit agir seul et qui se fait aider en douce par ses amis au CTU, Jack Bauer qui prend toujours la décision la plus violente possible dans le seul intérêt des Etats Unis bien sûr.

Alors finalement cette saison 8 n’est qu’un remix des précédentes saisons, et la continuité de tout ce qui a été entrepris jusqu’alors. Ne subsiste au plaisir du téléspectateur que les rebondissements, la violence graphique. D’où le déchainement de passion lorsque Jack Bauer s’en prend à l’autorité suprême. Il est devenu impossible de justifier son comportement. Cet enthousiasme pour le personnage de Jack Bauer ne me surprend plus (cette loi du toujours plus amène forcément à la transgression ultime). Et je ne cautionne toujours pas cette facilité scénaristique.

Lorsque survient l’image finale de la série, ce n’est qu’avec un grand soulagement que j’ai pris la chose. Ouf ! Il était temps. Ca fait 144 heures que Jack Bauer aurait du prendre sa retraite.

Pour autant, malgré ses dérapages, la série va disparaître en laissant un vide. Une telle débauche d’action n’est plus présente à la télévision américaine aujourd’hui. Nous verrons la saison prochaine si une série d’action comme Undercovers pourra combler ce manque. Mais j’en doute.

La série a donc très mal tourné. Nous l’avons vu, c’est en grande partie dû à l’originalité de la série elle-même, aux contraintes qu’elle ne pouvait pas surmonter. Pour autant cela n’excuse pas la paresse scénaristique des auteurs, pris dans leur spirale du « toujours plus ». Ils auraient du, pour le bénéfice de leur oeuvre et non de leur portefeuille, débrancher l’appareil au bout de 3 saisons maximum, j’en aurai gardé un excellent souvenir. A défaut, elle restera tout de même l’une des icones télévisuelles des années 2000.

6 réflexions sur “24 : fin du temps règlementaire

  1. Aie, j’ai toujours bien-aimé la série ^^
    Surtout que la saison 7 relancer un peu la machine avec de nouveaux évenements.
    Encore une saison inédite pour moi et puis ce sera encore une page qui se tourne avec cette série qui avait révolutionné le monde des séries 2000 !

  2. Profite bien de la dernière saison, alors 🙂
    Cela dit si tu as aimé la saison 7, qui est la pire de toutes, je pense que tu adoreras la 8 🙂

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