En 1987 arriva à la télévision Thirtysomething un petit joyau qui allait servir de tremplin aux succès planétaires Friends et Seinfeld. Désormais, il était possible de parler des préoccupations d’un groupe d’amis dans la même tranche d’âge. Le démarrage fut brutal, avec quelques critiques assassines qui cherchèrent désespérément une histoire dans la vie ordinaire des personnages. Or Marshall Herskovitz, co-créateur de la série avec Ed Zwick, avait une ambition bien plus importante : « We tried to write small, tried to find what’s epic in the small ».
L’art télévisuel s’est-il perdu avec le temps ? Alors que les foyers deviennent de plus en plus accrocs aux séries, quelles sont encore les fictions qui arrivent à sublimer le quotidien ? A quelques jours de la grande rentrée des pilotes, j’ai donc eu envie de me replonger dans cet art aujourd’hui dénigré, celui de rapprocher le téléspectateur avec son réel. Ça tombait d’autant plus à pic, que la plupart des bouleversements que connaissent nos trentenaires, je vais sans doute bientôt les connaître. (Si seulement on pouvait faire nos nuits en avance !).
Ne nous voilons pas la face. Si la société a beaucoup évolué depuis les années 80, les repères de l’âge restent les mêmes dans les têtes des gens. Passé 30 ans, est-il vraiment temps de se poser ? Notre héroïne hésite au tout début du pilote, cherchant les défauts de son compagnon, parce qu’elle a peur de s’engager. A part son pull polyester, il est parfait. Elle saute donc le pas, comme des millions de femme de sa génération (et de la notre). Elle tombe enceinte, arrête son travail pour s’occuper du bébé… et c’est là que les difficultés vont réellement commencer.
Jamais la série ne cherchera à se moquer, à tourner en dérision la vie brisée des parents (comme voulait le faire Up All Night par exemple). On recherche l’intime, on dissèque et re-dissèque le ressenti de chacun.
Elle (Mel Harris) n’est pas devenue une femme surprotectrice, elle s’aperçoit juste que malgré la fatigue, le ménage, son bébé est la plus belle chose qui lui est arrivé, et elle ne se sent pas capable de l’abandonner, dans les bras d’une babysitter, et encore moins de reprendre le travail. Alors que son entourage lui conseille de changer, elle persiste. Elle s’isole socialement, ne peut plus discuter avec sa meilleure amie (laquelle n’arrive pas à comprendre ce bouleversement), et doit renoncer à toute idée de camping avec d’autres amis. Pire, son couple commence à s’effriter. Son mari (Ken Olin) la considérait comme sa confidente, et elle n’est plus capable de l’écouter. Sans compter l’intimité du couple qui en prend un coup.
C’est un autre couple d’amis, Nancy (Patricia Wettig, Brothers and Sisters) et Elliot (Timothy Busfield) qui servira d’alerte. Leur maison est sale, envahie par leurs enfants. La moindre soirée se transforme en cauchemar, aucune phrase prononcée ne peut être terminée. On apprend qu’Elliot trompe sa femme, sans vraiment en être heureux. Il regrette sans doute sa vie passée.
Rien que de très banal, et des thématiques vues et revues à la télévision, me direz-vous. Et pourtant, la série puise sa force dans l’analyse des sentiments de chacun. Les échanges sonnent justes, font écho au téléspectateur, et renforcent sa proximité avec l’œuvre. Voilà la preuve qu’une série ne sera jamais du cinéma : elle rentre dans le cœur des gens, revisite leur quotidien, les ressource, les interpelle de manière régulière. Certaines critiques évoquent tout comme moi cette nostalgie des fictions parvenant à centrer l’action sur l’intimité des personnages. Même la mise en scène travaillée de shows du câble (The Wire, The Sopranos, Mad Men) ne parviendra jamais à explorer cette face cachée. Et les shows des networks de nos jours sont tous des procéduraux ou s’attachent à des éléments fantastiques.
Le décalage est là. De nos jours on reprochera peut-être plus facilement à la série son envie de trop bien disséquer le ressenti de chacun. L’exprimer, encore et encore, sous d’autres formes, d’autres mots, pointer le malaise, sur-communiquer le problème. Herskovitz et Zwick trouveront la parade dans Once and Again : au lieu de voir les personnages déballer leurs sentiments devant l’être aimé, ils le feront en thérapie, en s’adressant directement au téléspectateur (procédé désormais largement repris par la real tv et … les mockumentary sans jamais créer ce rapport d’intimité tant attendu, tout simplement à cause de leur faible écriture et leur volonté de dénigrer la personne).
4 saisons, 13 Emmy Awards, la création des termes 20, 30, 40-something, classée 19è meilleur show de tous les temps par TV Guide en 2002 (et 41è par la Writer’s Guild of America en 2013), et la série n’a pas perdu de son aura. Certes, le contexte n’est plus le même, mais revoir ce pilote m’aura fait le même effet qu’il y a quelques années… Cela fait du bien d’avoir des personnages qui sont autre chose qu’une fonction. Ceux là sont de chair et de sang, même s’ils n’existent que derrière l’écran.
Messieurs les éditeurs DVD : à quand une édition correcte de Thirtysomething et Once and Again en France (Mais par pitié ne reprenez pas ce nom Génération Pub / Nos meilleures années – quelle horreur !)? Vous l’avez déjà fait pour My so-called life (Angela 15 ans)… Pour information, la 3è et dernière saison de Once and Again n’est jamais parue aux USA (alors que Sela Ward avait enregistré des commentaires d’épisodes)…
Et surtout, à quand le retour de ce genre de shows transgénérationnels ? Je reste persuadé qu’il y a de la demande. Allez faire un tour du côté des commentaires sur Amazon…