Il n’est pas forcément évident de parler d’une période historique vue et revue au cinéma ou à la télévision. Alors quand Scorsese s’est attelé à reconstituer la prohibition à Atlantic City, j’appréhendais un peu le résultat. Le format télévisuel permet d’explorer davantage de thématiques que le format cinématographique. Avec un grand maître du cinéma aux commandes, le risque était grand de ne se focaliser que sur quelques thématiques. Allait-on sortir des chemins battus ? Allait-on parler de guerre des gangs, de lutte contre l’alcoolisme, de la fabrication d’alcool de contrebande et des milliers de morts dus à la consommation de méthanol, de la poussée des femmes au niveau politique et de la violence conjugale qui ravageait le pays, de la période euphorique qui suivit la fin de la première guerre mondiale, de l’hypocrisie des notables qui consommaient ce qu’ils réprimaient ?
La réponse est fort heureusement positive. Tous ces éléments sont abordés dès le pilote. C’est sans aucun doute son point fort. La reconstitution est faite avec soin, ce qui nous plonge rapidement et efficacement dans l’histoire. Pour ce qui est de l’analyse des évènements, évidemment, il va falloir attendre les prochains épisodes. Cela ne va pas sans dire, mais si la série se résume à un catalogue précis et détaillé de l’époque, c’est certes enrichissant, mais j’attends plus.
Non pas comme ce que j’ai pu lire, un débat sur le fait que la restriction de la liberté a pour conséquence le développement de la criminalité. Ce serait beaucoup trop simpliste. Et dangereux, il suffit de voir ces nouveaux prophètes qui veulent légaliser la consommation de drogue.
La série a clairement du potentiel pour organiser les débats si elle réussit à ne pas être démonstrative. Le lien de causalité entre tous les évènements est parfois un peu simple. Où se situe la frontière entre reconstitution historique et accumulation de clichés, représentations fantasmagoriques de notre passé ? Ce que nous avons appris de l’histoire, n’avons-nous pas tendance à vouloir l’incorporer dans une reconstitution ? N’y a-t-il pas tendance à modifier la culture et les mœurs de l’époque pour qu’elle s’accommode à notre esprit bien pensant actuel ?
Il faudra donc se méfier de l’apparence, du discours qui encense déjà la série sans aller au-delà de la minutie trompeuse d’une reconstitution. C’est là ma conclusion. Nous sommes dans un roman télévisuel, une oeuvre de fiction qui doit susciter débat, et non pas une reconstitution qui s’accorde à notre pensée actuelle.
J’espère donc voir quelque chose de plus controversé, un monde défini en nuances de gris dans une croisade historique où le « bien » combat le « mal ». Je n’en suis pas encore foncièrement convaincu. En revanche j’ai beaucoup aimé les personnages. J’avoue avoir eu un peu de mal à distinguer les personnages secondaires, mais Steve Buscemi est impeccable d’hypocrisie, entre ses manipulations politiques et sa vie de trafiquant, entre la vente d’alcool dont il tire profit et son désir de protéger celle qui en subit apparemment les dommages (la même interprétation qui est à l’origine du Volstead Act).
Le reste plaira aux amateurs de guerre des gangs, des coups tordus, de dézingueurs, mais honnêtement ce n’est pas ce qui m’a le plus passionné dans ce pilote.
Riche, et relativement bien rythmée quand même, la série est enivrante. Mais attention à l’ivresse des critiques.