Nouveau drama de SBS, Cheongdamdong Alice a un titre pour le moins énigmatique mais qui résume finalement assez bien ses thèmes, ce qui, il faut l’avouer, n’est pas chose courante avec les dramas coréens.
Cheongdamdong est le quartier de la mode et de l’art à Séoul, où se concentrent les boutiques les plus prestigieuses, où les prix sont multipliés par 3 ou 4. Cheondgdamdong Alice va nous parler du luxe, bien au-delà de la simple mode vestimentaire. On le sait, les coréens restent à l’affut des dernières tendances car leur statut social est intimement lié à leur apparence. Ce qui peut nous choquer, nous occidentaux, comme les multiples opérations de chirurgie esthétique souvent envisagées comme unique moyen de grimper les échelons. La réflexion du président d’Artemis, une de ces entreprises du luxe, est donc pour le moins abrupte mais hélas fondée. Oui, ce qui importe, au fond, pour les consommatrices, c’est la valeur de l’objet. Avoir quelque chose que les autres ne peuvent se permettre d’avoir, et asseoir ainsi sa suprématie sur ses comparses. C’est un phénomène qui perdure. Aussi fou que cela puisse paraître, la plupart des coréens s’endettent pour se tenir à la page, pour rester dans ce cercle fermé. Notre président d’Artemis (Park Shi Hoo, Princess Man), qui fabrique de luxueux sacs à main, en est parfaitement conscient. Pour continuer à vendre ses produits, pas question de faire des promotions. Il faut que ces articles restent inatteignables, car paradoxalement c’est le seul moyen de les vendre.
Cheongdamdong Alice entretient donc un rapport ambigu avec l’argent et le luxe, ce qui n’est pas sa seule qualité, comme nous allons le voir. De très nombreux dramas coréens nous montrent l’ascension sociale d’une femme dans les milieux aisés (où figure en bonne place sa future moitié). Mais nos héroïnes ont toujours eu le profil de femmes innocentes, travailleuses, surmontant les obstacles avec ténacité. Lors de son entretien d’embauche pour un poste de designer, Han Se Kyung (Moon Geun Young, Marry me Mary) n’étonne pas les téléspectateurs. « L’effort est ma force », c’est un joli slogan, et on peut se demander alors quel est l’intérêt de voir un énième drama sur ce sujet. Sauf que, à l’instar de Ms Ripley (qui avait défrayé la chronique en falsifiant son CV), notre héroïne n’est pas aussi pure qu’on pourrait l’imaginer.
On le percevait déjà avec le discours du président d’Artemis. Le drama va cultiver une certaine ambiguïté, un regard plus acide sur ses thématiques. Ainsi notre héroïne va se rendre compte que notre monde est cruel. Malgré toute sa volonté, elle ne pourra jamais atteindre le but qu’elle s’était fixé. Rappelez-vous. Le discours de la série est sur le luxe, et non la mode de tous les jours. Et ça change tout. Si dans Babyfaced Beauty notre héroïne parvenait progressivement à prendre sa place dans la compagnie, c’était parce que son expérience était réelle. Dans le domaine du luxe, la situation est différente. Parce que la différenciation sociale entre en jeu. Les pauvres restent pauvres parce qu’ils n’ont jamais eu l’expérience de côtoyer des riches, et donc notre héroïne ne peut grimper les échelons par la seule force de son travail car elle n’a pas acquis cet « œil », cette expérience du luxe. Bref, cette élite restera une élite, quoi qu’elle puisse faire. Et ce discours là, Han Se kyung se le prend en pleine face. Elle vient d’être miraculeusement engagée dans une compagnie, mais on ne lui confie que des tâches de stagiaire, alors qu’elle pensait pouvoir devenir designer un jour.
Notre héroïne digère les affronts (et apprend que son ex-ennemie du lycée se venge sur elle en l’embauchant pour des tâches subalternes), et finit par changer de cap. A l’instar d’Alice aux pays des merveilles (d’où le titre de la série et les promos), elle va devoir traverser le miroir. Définitivement. Ce qui veut dire couper les ponts avec un petit ami qu’elle fréquentait depuis 6 ans, et qui à cause de ses dettes ne pourra jamais lui donner la vie qu’elle mérite (un grand classique du drama coréen, je n’ai jamais pu m’y faire d’ailleurs et je vais y revenir car c’est un grand défaut du pilote). Elle va donc devoir s’adapter à ce monde où la folie règne, et où l’ordre des choses est inique. Ainsi, le président d’Artemis lui-même n’est pas loin de cette folie. Lorsqu’il cherche à se venger de son père qui l’a déshérité, il enregistre ses répliques, et avec un rire excessif, prend un malin plaisir à se réécouter ses scènes. (Au passage, cela nous permettra de voir ses dents refaites – décidément la HD n’a pas que des avantages). Han Se Kyung elle-même va succomber. Elle n’est pas cette fille sage qui apporte directement à sa patronne une parure de diamants de 150 000 dollars. Elle l’essaye. Parce qu’elle-même est sensible à cette logique du luxe, où prix et valeur se confondent. Elle veut savoir ce que ça fait de porter cette parure, quitte à mentir effrontément par la suite.
Alors plutôt que de se résigner à son sort ou d’espérer inutilement grimper des échelons, elle finit en fin d’épisode par demander le secret de la réussite de son ennemie (trouver un gars riche et l’épouser ?). Notre héroïne ne veut plus se battre pour rien, elle veut profiter du système elle aussi. Plutôt que d’attendre son prince charmant, elle va aller le chercher. Autant dire que si ça se confirme, c’est plutôt osé dans le monde des dramas coréens.
Tout n’est pas parfait, hélas. Tout simplement parce que pour le public, il n’est pas facile d’envisager que notre pauvre héroïne renie l’amour que lui porte son ami depuis 6 ans, quand bien même ce serait lui qui la repousse. Certes, ce dernier a du voler des sacs de mode, mais c’était pour payer les factures d’hôpital où sa mère est traitée pour un cancer extrêmement rare. Et surtout, ces deux là s’aiment encore profondément, comme l’on prouvé les multiples scènes de séparation larmoyantes. Je le redis, j’ai toujours eu beaucoup de mal avec ces raisonnements obscurs qui consistent à séparer des couples pour des raisons financières, surtout quand on parle de romance. Il va donc être dur de voir notre héroïne se transformer en opportuniste et de nous vendre un grand amour avec le président d’Artemis.
Et puis, forcément, quand on est français, on est plutôt curieux de voir Moon Geun Young s’exprimer dans notre langue. Et le résultat est assez dramatique. Quelques phrases auraient suffi pour me convaincre que notre héroïne maîtrise sa diction. Mais hélas, les scénaristes ont voulu en faire des tonnes et paraphraser autour de la ritournelle « L’effort est ma force ». Cela finit donc en baragouinage, un amas inaudible et frustrant. Il y a donc deux façon de voir les choses : saluer l’effort, ou exiger que cette maxime soit réellement appliquée. On pourra aussi tiquer sur le nom francisé de notre président d’Artemis : Jean Thierry Cha. Et surtout sur la façon dont il est apposé sur son bureau (Jane Thierry). Heureusement, l’erreur a été corrigée au second épisode.
Enfin, j’ai également un problème avec les personnages de la série. Si je salue le désir de rendre les choses plus ambiguës dans un drama qui jusqu’alors paraissait réglé comme du papier à musique, je ne suis pas arrivé à m’attacher à notre (anti) héroïne. Parce que même si elle veut redresser la barre, elle n’arrête pas de se lamenter sur son sort. Or elle a un job, un petit ami. Je suis d’accord pour qu’elle accomplisse ses rêves, mais pas besoin de se désolidariser à ce point de sa condition d’origine, car cela ne lui génère aucune sympathie. Les personnages masculins sont du même ordre. Entre le petit ami au comportement lâche, et le président d’Artemis qui a une case en moins, il ne reste qu’une possibilité d’accrocher au wagon : la sensation de ne pas être en terrain connu. Le drama a placé son décor, et maintenant il va falloir naviguer avec précaution, car le chemin est particulièrement étroit et casse-gueule…
Heureusement, outre son parti-pris original et sa façon de dépeindre notre réalité inique, le drama possède un atout de taille : Moon Geun Young. Celle-ci peut incarner sans difficulté des rôles plus matures que son physique ne lui prédisposait (rappelez-vous, par exemple, qu’elle a joué quantité de personnages innocents comme dans My Little Bride !). Dans Cheongdamdong Alice, elle incarne très bien ce personnage ambigu, en décalage avec nos préjugés. Et sans son jeu nuancé, le script aurait beaucoup plus de mal à passer. Pour l’accompagner, Park Shi Hoo (Princess Man) a réussi à rester crédible alors que son personnage en faisait parfois des tonnes (notamment avec sa vengeance).
Enfin, la réalisation est plutôt plate, tant dans la mise en scène très peu dynamique, que dans l’accompagnement orchestral qui vise plutôt la musique d’ascenseur.
Au final, s’il y a de très bons éléments dans ces deux premiers épisodes, j’avoue qu’il m’aurait fallu quelques épisodes supplémentaires pour savoir quel ton la série va définitivement adopter. Je ne suis pas complètement rassuré sur le positionnement et la psychologie de nos personnages. Oui, c’est osé, mais est ce que cela peut fonctionner dans ce cadre ? Pas si sûr… Je pense attendre quelques échos supplémentaires avant de continuer l’aventure.